DNA, 28 mai 2016, par VeP
« La réalité a à voir avec le dialogue, la contradiction, l’accord des consciences. Elle était indéterminée aux yeux mêmes des intéressés. Le moment est venu où il a fallu y faire réflexion, pour des raisons pratiques. Tout changeait soudain. Il importait de savoir de quoi elle était faite, de distinguer ce qu’on pouvait conserver de ce dont il fallait se défaire pour répondre à L’appel de l’ailleurs. » Consignées dans Exister par deux fois, ces phrases disent la geste sensible de Pierre Bergounioux.
Depuis plus de trente ans, l’écriture de l’enfant grandi en Corrèze arpente temps et espace. Issu d’un univers fermé à la culture lettrée, l’homme s’est ouvert au monde par l’étude et le savoir. Lire Pierre Bergounioux, c’est affronter de grandes et passionnantes questions comme le rapport entre sociologie et littérature, la modernité, la place du langage dans le jeu des classes sociales, l’école, le marxisme. Plus de soixante titres souvent irrigués par une veine autobiographique, déploient sa pensée, ses topographies sensibles, ses affinités électives et une réflexion sur le temps. Le 3e tome de ses Carnets de notes, 2011-2015 vient de paraître. S’il ne les publie que depuis dix ans, le diariste est au travail depuis 35 ans. Une œuvre monumentale de plus de 4800 pages imprimant un rythme, une constance, une régularité. Tout repose sur le parti pris de ne pas laisser le temps glisser comme du sable et la difficulté de savoir ce qui s’est précisément passé. Face au fracas du monde, la montée de l’extrême droite, les attentats terroristes, les désastres écologiques, Pierre Bergounioux est ce témoin effaré qui oppose à la barbarie l’esprit critique et lettré. Un mouvement qui embrasse morts et vivants. Et restitua les voix, partageant la chair des images et des mots des siens, invisibles alors, « relégués d’une province du Sud-Ouest ». Aussi longtemps qu’elles n’ont pas été écrites, affirme l’auteur d’Agir, écrire, les choses restent flottantes, indéterminées. Périlleuse, l’entreprise arrache au néant, une image un peu précise de ce qui nous arrive. Adam et Eve n’ont-ils pas été chassés du paradis pour avoir goûté aux fruits de l’arbre de la connaissance. Ombré par le péril qui peut s’attacher à ceux qui tentent d’obtenir l’explication, du secret, du mystère de l’énigme de nos vies, Pierre Bergounioux s’efforce de répondre.