Le Matricule des anges, juin 2017, par Christine Plantec
« Au mur de son atelier, à Paris, Courbet avait affiché une liste de règles : 1- Ne fais pas ce que je fais 2- Ne fais pas ce que les autres font 3- Si tu fais ce que faisait Raphaël, tu n’auras pas d’existence propre 4- Fais ce que tu vois et ce que tu ressens, fais ce que tu veux ». C’est de ce Courbet-là dont David Bosc nous dresse le portrait dans son troisième roman. Celui d’un peintre qui, bien qu’exilé après avoir abattu la colonne Vendôme pendant la Commune, s’installe à La Tour-de-Peilz, au bord du tranquille Lac Léman. Tranquille en apparence car si pour certains le chef de file du réalisme est un homme mort artistiquement et qu’il s’achève à raison de dix litres de chasselas par jour, a contrario La Claire Fontaine en reconsidère les quatre dernières années. De 1873 à 1877, Courbet vit comme il peint : à coup de pâte généreuse. Il aime « les fleurs, les fruits, les femmes, les peux de bêtes, les peaux de fruits, les peaux de femmes, les arbres immenses et la broussaille, le sang dans les plumes, le sang dans les poils, la poudre et le plomb… »
On voit alors ce qui a pu aimanter le romancier. Sa phrase ample, musicale en atteste. Aussi se dit-on que c’est moins au biographique que l’auteur a voulu s’atteler qu’à une tentative d’approche de la bête indomptable, libre qu’était Courbet, l’homme. Par les peintures du maître il tentera la captation ! Comme le héros de son premier roman Sang lié, comme Courbet, Bosc « se tient bien en face, sans aucun recul, sans ce pas en arrière et cet autre de côté qui permettent d’aménager la perspective » au point que, plongeant littéralement dans la toile, il s’y incorpore. Sous nos yeux défilent paysages, portraits, peintures animalières jusqu’à « l’infini frontal », « tellement ouvert qu’il en devient impénétrable » : c’est alors qu’en symétrie apparaissent La Source de la Loue et L’Origine du monde.
Dans le hors-champ du texte affleure alors l’autoportrait du peintre de 1841 dit Le désespéré, figurant un jeune homme en proie à l’effarement dont les deux mains s’emparent du crâne. Point aveugle qui nimbe ce magnifique roman d’une terrible mélancolie.