La Marseillaise, 26 septembre 2016, par Anne-Marie Mitchell
Tenue par les terroristes de l’État islamique la caméra propage le sadisme et la folie meurtrière. Le spectateur est convié à tourner son regard vers le lieu où a été fabriquée l’image qu’il regarde. Ce lieu n’est pas le cosmos mythique d’où émerge l’acte divin, il a été fabriqué par l’homme. Ainsi écrit Michel Faucheux au début de l’un des chapitres de sa biographie consacrée à Auguste et Louis Lumière, où il est question de la mémorable « Sortie d’usine ». Déferlement dans la rue d’un flot d’ouvrières et d’ouvriers (devenus acteurs) qui prouva que la vocation première du cinématographe était le mouvement. À la lecture de Daech, le cinéma et la mort quelle aurait été la réaction des célèbres frères qui firent « surgir de l’écran des images animées donnant l’illusion de la vie » ? Ils auraient sans aucun doute possible applaudi le courage et le talent de Jean-Louis Comolli (réalisateur, scénariste et écrivain), avant d’être pris d’un saisissement d’effroi à la vue d’une file d’hommes agenouillés le long d’une plage, d’un prisonnier transformé en torche vivante dans une cage… car, pour les terroristes formés par l’État islamique, il ne s’agit pas « seulement de « faire voir », il s’agit de « montrer », avec toute l’obscénité que porte cette insistance. » Dire que le sens primitif du latin « obscenus » fait référence à ce qui ne doit pas être montré sur scène ! Mais allez faire comprendre cela à des bourreaux, qui se croient « guerriers à barbe drue et robe noire », alors qu’ils ne sont que des exécuteurs de basses-œuvres ! Pour eux, rien (et surtout pas leur monstrueuse insensibilité) ne doit être à l’abri des regards. Il leur faut donner des preuves de leur force, de leur audace, de leur cruauté. Il leur faut démontrer que « rien n’effraie le pouvoir en courroux, prêt à toutes les abominations », puisqu’elles seront filmées et qu’elles feront le tour du monde grâce au numérique et à son instantanéité. D’un côté, écrit Comolli, fanatisme, intolérance, brutalité, aveuglement ; de l’autre, la grande confusion des cultures, religions, histoires et croyances, toute une obscurité dans laquelle perce, ici et là, la lumière de la liberté.[…] Liberté de penser et de parler, d’écrire et de dessiner, d’aimer et de choisir, de croire et de ne pas croire… Que pourrions-nous ajouter à cela ? Très peu de choses, sinon rien, ou peut-être que nous allons bientôt nous réveiller de ce sinistre cauchemar. Ce sera toujours un commencement.