Télérama, 25 janvier 2017, par Marine Landrot
Ancien psychiatre urgentiste, l’auteur dévoile comment est né son besoin d’écrire. Une démarche intime qui touche pourtant à l’universel.
C’est un livre impérieux sur l’ordre des choses. Patrick Autréaux fut urgentiste en psychiatrie, et la maladie s’abattit sur lui. A moins que ce ne soit l’inverse. La maladie couvait en lui depuis l’enfance et détermina en sourdine son orientation de médecin. Il aima les livres d’Annie Ernaux, et la découverte de celle qui fut sa « thérapeute à [s]on insu » précisa sa vocation d’écrivain. A moins que ce ne soit le contraire. Le besoin d’écrire était son moteur depuis son apprentissage des lignes cursives au cours préparatoire, et le rendit, plus tard, réceptif à l’autofiction radicale de la romancière. Impossible de savoir comment s’agencent les rêves et les faits pour fabriquer un destin. « En reconstituant son cheminement, on fait bien sûr un choix, on jette des ponts entre des époques éloignées, on trame un récit qui ne dessinera qu’une vérité biaisée partielle : on écrit un roman », reconnaît-il, au détour de cette confession pudique et transparente sur le cheminement de l’écriture dans sa vie.
Comment le besoin d’écrire prend-il naissance dans les régions les plus enfouies de l’être ? Comment creuse-t-il inlassablement son sillon malgré le barrage du jugement extérieur, malgré la censure du dénigrement intérieur ? Patrick Autréaux offre ses lumières personnelles sur ces questions essentielles, et signe un livre profond et intimiste sur ce qui est à l’œuvre en chacun de nous. Derrière sa propre expérience d’écrivain de chaque instant, du visible et de l’invisible, il révèle la richesse et la beauté de chaque existence, secrètement investie d’une mission. Toujours léger, précis, il papillonne dans ses souvenirs. Retourne au temps déchiré du divorce de ses parents, revient sur l’épreuve de sa maladie qui fit de lui un « naufragé » et de l’écriture un « radeau ». Se blottit dans ses conversations avec son éditeur J.-B. Pontalis, qui le fit mûrir en refusant longtemps de le publier, tout en contemplant son avancée littéraire souterraine.
A la fin du livre, Patrick Autréaux jette le lecteur dans un océan couvert de bouées de sauvetage, une double page pleine de titres de livres et de films qui lui ont permis de survivre. Les auteurs ne sont pas précisés, comme pour laisser le hasard guider le choix des naufragés. Qui s’empare de La Voix écrite peut être certain d’avoir fait le bon choix. Il a trouvé un trésor. « La hache qui fend la mer gelée en nous », disait Kafka en parlant du livre idéal, rappelle Patrick Autréaux en toute reconnaissance. Les sauveteurs ont souvent été sauvés en leur temps.