L’Humanité, 16 mars 2017, par Sophie Joubert
La foi en l’écriture et le gardien du seuil
Un récit autobiographique, imprégné de mysticisme, de l’écrivain Patrick Autréaux, ancien psychiatre en service d’urgences.
Avant la « voix écrite », il y a eu les voix. Celles des parents se déchirant sans fin dans les cris, les coups et les menaces, avant un divorce salutaire. « Écrire, c’était d’abord replonger et fouiller dans cette boue », confesse Patrick Autréaux, « exilé de l’intérieur » dans sa famille, « transfuge de classe » à l’instar d’Annie Ernaux, dont les livres lui ont permis de mettre des mots sur la honte de son origine sociale. Les voix, ce sont aussi celles des patients qu’il a « soignés et écoutés » aux urgences psychiatriques, où il a exercé après une thèse de médecine.
Écrire, pour Patrick Autréaux, ce fut d’abord trouver le chemin du silence. Un silence « incubateur », éprouvé pour la première fois dans un monastère où, jeune homme, il a effectué une retraite. Rarement le terme de vocation, souvent galvaudé, aura été aussi approprié. L’appel fut précoce, impérieux, et le chemin escarpé. Un parcours semé d’épreuves, dont la plus terrible fut la maladie.
Un long combat contre la mort et contre lui-même
Médecin, Patrick Autréaux a été atteint, avant ses trente-cinq ans, d’un cancer foudroyant. Un « coup d’arrêt » qui a tout remis en question : son métier, sa vie amoureuse et, surtout, l’écriture, la deuxième vie pour laquelle il avait préféré le statut de « journalier » à un poste prestigieux à l’hôpital. Après avoir tout mené de front, il décide de changer de vie, de quitter « l’extériorité dela médecine pour l’intériorité de l’écriture ». S’engage alors un long combat, contre la mort et contre lui-même. La maladie a fait jaillir la source, le premier livre publié naîtra de la guérison. Longtemps, Patrick Autréaux est resté sur le seuil. Celui de l’écriture et de sa « vraie vie ». Un vieil homme, Max, en a été le gardien, un sphinx distillant au compte-gouttes refus et encouragements. Derrière les Benson & Hedges fumées à la chaîne, la bienveillance et la retenue, on devine la figure tutélaire de J.B. Pontalis, grand psychanalyste et éditeur chez Gallimard. Pendant dix ans, au fil de rendez-vous puis de déjeuners, il a accompagné l’écrivain en devenir, « garant de (s)a foi », touchant les points obscurs qui, comme en analyse, permettent d’avancer. Récit autobiographique sur la longue route qui mène à l’écriture, le patient travail pour se « désentraver », la Voix écrite est d’abord un hommage à cette relation respectueuse, un peu en deçà de l’amitié, à ce cheminement côte à côte en terre inconnue que viendra interrompre la mort de « Max ».