La revue, mai 2017
Jihadisme, cinéma et jouissance de l’horreur
Si l’on n’est pas un lecteur averti ou si l’on a oublié certaines scènes macabres vues à la télévision, on pourrait s’étonner, de prime abord, du propos de ce livre. Qui associe, il est vrai, les organisations comme Daech non pas au cinéma proprement dit comme l’indique son titre mais à l’art de filmer, qui concerne tous les types d’écran. Le combat des jihadistes ne passe pas que par des bombes, les attentats, les meurtres : il utilise de façon importante, on serait tenté de dire essentielle, l’image. Pourquoi ? Comment ? C’est ce que veut expliquer, décrire et analyser dans son ouvrage Jean-Louis Comolli, réalisateur et journaliste – notamment aux Cahiers du cinéma dont il a également été rédacteur en chef.
Nous connaissons tous les pouvoirs de l’image pour influencer les idées et les comportements. Il suffit de penser au marketing et à la publicité pour s’en persuader. Mais aussi, depuis toujours, aux diverses interdictions de représentation dans certaines religions. Daech, pourtant ennemi de l’Occident gavé d’images, s’est emparé paradoxalement de ce moyen de propagande, et ce de la manière la plus perfectionnée : il s’est équipé d’un studio de production et a acquis la maîtrise des techniques numériques les plus sophistiquées. Une utilisation du média audiovisuel qui s’inscrit en fait dans une continuité avec celle de bien des régimes « totalitaires » – souvenons-nous des œuvres à sa gloire pour le grand écran financés par le régime nazi – même s’il est certain que l’arrivée de la télévision puis d’internet et des réseaux sociaux en a depuis quelque temps multiplié l’ampleur.
Cet emploi très « macabre et contre nature » du cinéma, que l’auteur qualifie « d’extravagance propre à notre temps » puisque le septième art a été inventé pour filmer la vie, est assurément efficace. Même si on s’étonne volontiers, les images de torture ou de mise à mort suscitent bien souvent, au-delà du dégoût et de l’effroi, ce que Comolli appelle une « jouissance de perversion ». Celle qui fait le succès des films d’épouvante ou d’horreur. Et qui ne concerne pas d’ailleurs que les adultes. Tous les parents le savent : les images qui font peur sont très appréciées des enfants à condition qu’ils aient l’âge de savoir que ce n’est pas « pour de vrai ». Mais aujourd’hui, avec le terrorisme, c’est pour de vrai ! A la fin d’un court-métrage intitulé La Syrie aujourd’hui qu’évoque Comolli s’affichait ainsi sur l’écran ce « carton » : « Cessez de nous regarder, nous sommes en train de mourir ! ». A méditer.