L’Humanité, 4 mai 2017, par Jean-Claude Perrier

Ce récit paru en 2012 a suscité un écho considérable dans les pays de langue allemande. Par sa dimension tragique et son dépouillement extrême, il s’est imposé comme l’un des très grands textes de ces dernières années. La traduction virtuose d’Olivier Le Lay dans l’exigeante collection « Der Doppelgänger » nous en restitue aujourd’hui l’exceptionnelle beauté.

Le sujet apparaît intemporel et universel, d’une accablante simplicité : la mort d’un fils unique racontée par son père. Celui-ci, un matin de froidure, le découvre mort dans son lit pendant la nuit, déjà saisi par la raideur cadavérique. Julius avait 17 ans. Depuis quelque temps il était revenu vivre chez son père dans la capitale. Quand ses parents s’étaient tôt séparés, sa mère l’avait emmené à l’ouest du pays, sans doute dans le Vorarlberg, où elle avait commencé de partager son existence avec un nouveau compagnon. D’abord incrédule, le père-narrateur prend la mesure de la perte de son enfant. La vie d’universitaire, essentiellement tournée vers l’étude, qu’il avait préférée à son couple, se révèle être une construction bien fragile face au bouleversement qui le submerge. Le deuil détruit ses repères, ne semble lui laisser d’autres issues qu’un relâchement destructeur. L’écrivain, qui perdit lui-même un fils, suit l’itinéraire de cette souffrance avec une précision de géomètre. Chacune de ses phrases comme une mesure laser des dégâts occasionnés. Sans pathos ni encore moins sensiblerie. Seulement la réalité de ce qui s’effondre. L’insupportable défi à la logique de la mort du fils avant celle du père. Mais aussi peu à peu l’inextinguible vouloir-vivre des humains. Prenant d’abord forme de colère et de rage, puis de travail du souvenir. L’éternel retour de la vie. Car Julius, entre ses deux néants, a laissé trace dans les mémoires. Celle du père, celle de la mère qui vient quelque temps auprès de lui (« Tu resteras à jamais l’homme que j’ai aimé, même si je t’ai perdu »), et celle de Julia, sa petite amie qui apporte sur lui une autre lumière. Le récit redonne tangibilité à ce temps certainement pas perdu et apporte un nécessaire réconfort. En fond lointain de cette prose superbe résonne la phrase de Faulkner, « le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé ». Wolfgang Hermann, jamais auparavant traduit ici, réussit dans son saisissant récit l’alliage parfait de la sensibilité, de la hauteur de vue et de la poésie.