Lire, juin 2017, par Alain Rubens

La construction d’un monstre

En 1901, Henri Vidal, fils d’une hôtelière de Hyères, agresse deux prostituées, en tue une troisième et assassine avec un couteau de boucher une jeune Suissesse de 20 ans, une fille vierge et « honnête », la naïve Gertrude, dans le sombre compartiment d’un train. « La tête ne tenait plus au corps », cette fois, Vidal a mis le paquet. Condamné à la peine capitale puis gracié, il est envoyé à Cayenne où il meurt en 1906. C’est que « le tueur de femmes » n’aura pas eu la vie facile. Un échec sur tous les plans qui font une vie. Ecrabouillé par la figure vénérée de son aîné, Vidal est inapte aux tâches subalternes à l’hôtel, échouant dans toutes ses entreprises, en manque chronique d’argent, humilié en amour. Le tueur au « regard de loup », va être l’objet d’une production convergente de récits : rapports de police, PV d’instruction, expertise du grand aliéniste Lacassagne, articles horrifiques d’une presse simpliste, sans compter sa surprenante et très introspective autobiographie. C’est ce collage de textes, opéré par les auteurs à la façon d’un montage accéléré de film, qui érige la monstruosité de Vidal, au-delà du fait divers. Par ce procédé exhibant l’horreur, il devient le tueur en série qui vient habiter le hors-champ social. Les auteurs de Vidal, le tueur de femmes auront donc réussi cette « Biographie sociale » qui se lit aussi comme un magistral thriller. Un plaisir de lecture qui donne à penser sans même s’en rendre compte.