Le Monde des livres, 30 juin 2017, par Marc Semo

Henri Vidal était un petit assassin en série dont les forfaits restèrent (relativement) limités, deux tentatives de meurtre sur des prostituées et deux meurtres accomplis avant qu’il ne se fasse arrêter par hasard et passe aussitôt aux aveux. Ses agressions, au couteau de cuisine, n’en défrayèrent pas moins la chronique de Nice et de sa région, au début du XXe siècle. Devant le palais de justice la foule hurlait à la mort. Les chroniqueurs judiciaires s’emballaient, évoquant ses « yeux de loup », « une âme bornée et violente, une âme très animale, à peine une âme ». Condamné à mort, Vidal vit sa peine commuée en travaux forcés. Il mourut en 1906 au bagne, en Guyane. Cette affaire fut, à l’époque, très largement commentée. Le tueur, en outre, écrivit son autobiographie. Devant la masse de ce matériau, les historiens Philippe Artières et Dominique Kalifa décident, à la fin des années 1990, de se lancer ensemble dans « une biographie sociale » de Vidal : l’objectif est moins de narrer la vie de l’assassin que de raconter « l’émergence soudaine d’une existence neuve qui naît simultanément au crime et à la représentation ». Un tel exercice implique de trouver une forme inédite de récit.

« Monter les discours comme on monte des images ; refuser l’ordre asséchant dont les textes sont l’objet pour les inscrire dans des séquences qui leur donnent vie et mouvement », expliquent les auteurs dans l’introduction de leur ouvrage où, sans transition apparente sinon celle des dates, sans ajouter le moindre mot, ils accolent la parole du juge à celle de la victime ou de l’assassin, l’énoncé du médecin à celui du reporter, chacun n’étant identifié que par un renvoi en note. Cette tentative de « résurrection de la vie intégrale », selon le mot de Jules Michelet, dans toute sa complexité et sa mobilité, donne un ouvrage singulier. Publié en 2001, devenu introuvable, il montre comment un tueur « échappe peu à peu à lui-même et aux siens pour devenir une création collective, le Tueur de femmes, l’Égorgeur du Sud-Est ».