Le Monde des livres, 1er septembre 2017, par Florence Bouchy
Deux images d’enfants
Des existences ordinaires, Pierre Demarty aime les fissures. Les moments où celles-ci se révèlent sans véritable signe annonciateur, les affects qui surgissent au cœur de la banalité, les impulsions inexpliquées à l’occasion desquelles bifurque une vie apparemment sur les rails. Dans son premier roman (En face, Flammarion, 2014), son héros abandonnait le foyer familial, traversant la rue pour vivre reclus dans l’immeuble voisin. Le petit garçon sur la plage accompagne de nouveau sur le sentier de la déflagration émotionnelle « un homme doux, effacé, un homme à qui la vie n’a pas de bruit et qui lui-même n’en a pas fait beaucoup. (…) Il est dans le monde. Sa vie n’est pas romanesque ; néanmoins c’est la sienne et il la vit en conséquence, en conscience, avec droiture et sans états d’âme ». D’une écriture fine et immensément délicate, l’écrivain saisit le trouble, puis l’émotion irrépressible qui s’empare de l’homme un soir, au cinéma, à la vue d’un enfant se retrouvant seul sur une plage. Puis, un an plus tard, le 3 septembre 2015, en découvrant la photo du petit Aylan Kurdi retrouvé mort noyé sur une plage turque. Pourquoi ces deux images d’enfants ont-elles bouleversé intimement et durablement cet homme ? « De quels fantômes, de quelles fêlures sommes-nous les hôtes ? », se demande Pierre Demarty. C’est en fils et en père que son personnage tente de le comprendre et de l’intérioriser.