Politis, 30 août 2017, par Anaïs Héluin
Apocalypse toujours : À travers une succession d’incipits, Lutz Bassmann, hétéronyme d’Antoine Volodine, raconte une migration surréaliste. Imaginé et pratiqué par Antoine Volodine depuis ses premiers romans, le « post-exotisme » est une source intarissable de dystopies. La preuve dans Black Village, signé Lutz Bassmann, nom utilisé par l’auteur pour ses publications chez Verdier. Comme tous les livres de l’intéressé aux multiples pseudonymes, celui-ci commence une fois que tout est fini. Anciens membres du service Action d’une organisation dont on ne saura rien, Tassili, Myriam et Goodmann se retrouvent en effet à devoir effectuer, après leur mort, un mystérieux voyage. Le récit-cadre se limite à quelques pages où sont décrites les conditions difficiles de cette
migration. L’obscurité à peine éclairée par la main de Goodmann, dans laquelle pousse une étrange flamme, et le temps que plus personne ne voit passer à force de marcher. Ce qui suit est le
résultat d’une expérience du trio d’outre-tombe. Pour poser des balises dans leur parcours peut-être sans fin, les fantômes ou cadavres ambulants (comme sur le reste, il est difficile de se
faire un avis sur le sujet) décident de se raconter des histoires. Ces histoires, Black Village en compte pas moins de trente-cinq. Car, s’ils n’ont aucun problème pour les commencer, les trois
compagnons sont incapables de les terminer. Mis bout à bout, les incipits dessinent toutefois un non-lieu caractéristique des livres de Volodine. Entre science-fiction et polar, les bribes de fiction
sont peuplées de personnages sans plus de repères que les narrateurs. Si la consonance russe de la plupart des noms semble les inscrire dans un contexte géographique précis, l’inquiétante
atmosphère qui les entoure déréalise l’ensemble. Évitant le formalisme qu’un tel choix d’écriture pouvait laisser craindre, Lutz Bassmann porte ainsi une réflexion subtile et vivante sur le poids de
la littérature face aux drames de l’époque.