L’Opinion, 16 janvier 2018, par Bernard Quiriny

Sur les traces de Rimbaud en Afrique

L’Abyssinie, l’Algérie, Paris, Charleville, la IIIe République, les années 1870, les époques et les lieux s’entrechoquent dans un savant désordre, comme chez Jean Rolin ou Patrick Deville.

Mettons qu’une machine à voyager dans le temps vous conduise dans les années 1870, après la défaite de Sedan. Comme beaucoup de Français à l’époque, vous êtes pris par l’envie dévorante de voyager, de conquérir l’Afrique. Vous voici donc parti pour l’Abyssinie, la mer Rouge, le golfe d’Aden, ces noms luxuriants et colorés qui vous font rêver. Sur place ou en chemin, vous rencontrerez peut-être deux personnages. Le premier, Paul Soleillet, est un explorateur nîmois missionné par le gouvernement français pour explorer le Sahara. Promoteur passionné d’une ligne de chemin de fer transsaharien, il écrira des récits passionnants sur ses voyages dans le continent noir. Le second est un affairiste baroudeur et un peu louche, ancien poète, qui sillonne à présent l’Afrique pour ses trafics. Son nom ? Arthur Rimbaud.

Si ça se trouve, les deux hommes se sont connus. Peut-être ont-ils bu l’apéritif ensemble sur le perron du Grand Hôtel de l’Univers à Aden, par exemple, comme sur la célèbre photographie de 1880 où l’on voit Rimbaud (pour autant que ce soit lui) attablé avec l’explorateur Lucereau. Si ça se trouve, Jean-Jacques Salgon, propriétaire d’une machine à voyager dans le temps comparable à la vôtre, traîne lui aussi ses guêtres dans les parages. Lui qui, dans sa jeunesse, fit un périple en Éthiopie, et qui se passionne aujourd’hui pour les aventures entrelacées de Rimbaud et Soleillet, les deux héros de ce livre qui tient de l’enquête historique et de la rêverie, aux alentours d’Obock et de Djibouti…

Mythologie

Que signifie ce titre bizarre, Obock ? C’est un port sur la mer Rouge, ancienne possession française, aujourd’hui situé en République de Djibouti. L’un de ces noms magiques, note Salgon, comme Tombouctou, Zanzibar, Vancouver ou Valparaiso, qui charrient une mythologie, celle du voyage et des lointains, du soleil et des épices. Mythologie qu’il convoque à plaisir dans ce beau texte aux allures de puzzle. L’Abyssinie, l’Algérie, Paris, Charleville, la IIIe République, les années 1870, les époques et les lieux s’entrechoquent dans un savant désordre, comme chez Jean Rolin ou Patrick Deville, autres écrivains-voyageurs dans son genre. Outre les plaisirs évocatoires de l’exotisme, de l’histoire et des images, Obock vaut comme illustration de la monomanie, ce feu d’érudition irrépressible qui dévore tout homme captivé par un sujet. Salgon, littéralement, est envoûté par Rimbaud (il n’est pas le seul) et par Soleillet (ils sont plus rares) ; alors il fouille, furète, se déplace, s’interroge, divague, conjecture, ivre de satisfaction chaque fois qu’il tient une piste, dégote une date, exhume un document. Il invente beaucoup, évidemment, puisqu’on ne sait en réalité pas grand-chose sur les errances de Soleillet, ni sur celles de Rimbaud. À la limite, l’Afrique étant grande, le poète et l’explorateur ne se sont probablement jamais croisés. Qu’importe ! Les voici réunis dans un livre, comme une rencontre posthume. C’est tout aussi bien. C’est peut-être même mieux.