Livres hebdo, 6 mars 2020, par Véronique Rossignol

On ne peut pas s’empêcher de superposer l’image de la promeneuse solitaire qui arpente ces « rues de l’Italie, ces villes presque imaginaires, idéals de la Renaissance », sur les traces du maître du xve siècle Piero Della Francesca, et en quête d’un autre Piero, peintre lui aussi, avec celle de la jeune femme marchant dans les ruelles de l’Alfama à Lisbonne, ce personnage à la fois intense et évanescent que Leonor Baldaque a incarnée dans La Religieuse portugaise, d’Eugène Green.

Celte native de Porto qui fut la comédienne fétiche de Manoel de Oliveira, un très proche de sa grand-mère Agustina Bessa-Luís, livre ici, huit ans après Vita (La vie légère), un deuxième texte écrit en français, récit méditatif aussi difficile à décrire que le premier où son écriture mystérieuse et habitée, opaque parfois, semble émerger d’un long processus de recueillement et d’ imprégnation. « Regarder c’est tout ce qu’on peut faire », écrit-elle. Jusqu’à se fondre dans les murs, entrer dans la matière de l’œuvre, à l’intérieur du geste créateur, jusqu’à s’incorporer dans le rouge et le marron du Polyptique de la Miséricorde conservé au musée de Sansepolcro ou des fresques de la Légende de la vraie croix dans le chœur de la basilique San Francisco d’Arezzo. Chercher tes mots, sous la surface de la langue, pour être « chez Piero », mieux, « dans Piero ».