Les Inrockuptibles, 25 août 2021, par Sylvie Tanette
D’oncle, de Rebecca Gisler
Un premier roman remarquable et très drôle qui décrit avec finesse une vie de laissé-pour-compte.
Deux jeunes adultes en galère, la narratrice et son frère, vivent à la campagne chez leur oncle. La narratrice n’en finit pas d’être intriguée par cet être curieux, cinquantenaire obèse qui semble coincé dans l’enfance. Elle observe au jour le jour ses manies obsessionnelles, son isolement têtu, son manque délibéré d’hygiène, et cherche à comprendre quelle logique décide de ses actes. Née à Zurich, Rebecca Gisler est diplômée en création littéraire en Suisse et en France, elle écrit en allemand comme en français. Aussi, peut-être faut-il chercher dans la littérature germanophone l’essence de son humour noir. Dans ce texte d’une originalité absolue, l’ingénuité de sa narratrice crée une subtile distance lorsqu’elle décrit, dans leur trivialité brute, les situations absurdes où la conduisent sa cohabitation avec l’oncle. Mais ce texte est bien plus qu’un amusant exercice de style truffé de références littéraires insolites – « il y a une nouvelle de Kafka que j’aime beaucoup parce qu’elle me fait penser au supermarché du village ». Dans le récit de ce quotidien fait de bizarreries incompréhensibles, Gisler exhorte à poser un regard tolérant sur la différence. Et à travers le parcours chaotique de l’oncle, comme celui de la narratrice et son frère, jeunes intellectuels précaires, c’est un pan insoupçonné de la société qu’elle dévoile, peuplé d’êtres inadaptés et invisibles.