Études, septembre 2021, par Yves Leclair
Pierre Bergounioux, Carnet de notes, 2016-2020
L’œuvre de Pierre Bergounioux, qui allie la beauté des lettres à l’impératif de vérité, est l’une des plus accomplies de notre temps. Parallèlement à sa construction, l’auteur du Matin des origines (Verdier, 1992) tient des carnets de notes comparables à ces calepins où les anciens artisans consignaient rendez-vous, prises de cotes et noms des clients. Dans ce cinquième tome couvrant les années 2016 à 2020, l’écrivain et père de famille ne retient que les faits et gestes de son emploi du temps : chaque note du diariste s’ouvre sur le rituel d’une antienne qui indique systématiquement l’heure du lever (très matinal) ; sont ensuite recensés, au jour le jour et au présent, les lectures, les travaux et pensum, les très nombreuses relations professionnelles de l’écrivain, les décès de collègues, mais aussi bien les soucis de santé, les obligations familiales (la garde des petits-enfants), la noria des allées et venues en RER, voiture, train ou avion entre la banlieue, Paris, la Corrèze natale et divers lieux d’invitation, sans oublier les hobbies (le travail du fer et la collection d’art africain). Dans ce carnet « mondain », nul déballage. Au contraire, un souci de tenue, de circonspection et de discernement qui n’est autre que l’ombre portée d’un grand styliste. Au vrai, cette concision renfrognée rend d’autant plus attachante l’humanité de Bergounioux : son boulon verbal serre une absolue fragilité, la crainte constante de mourir ou bien encore l’amour durable et profond pour sa femme et ses proches. D’ailleurs, le carnet du septuagénaire laisse ce dernier mot fendre son armure : « La première jonquille a fleuri » !