La Provence, 24 septembre 2021, entretien réalisé par Marie-Ève Barbier
Antoine Wauters plonge dans le chaos syrien
Mahmoud ou la montée des eaux d’Antoine Wauters est l’un des événements de la rentrée littéraire. Il met en scène Mahmoud, un vieil homme syrien à bord d’une barque. En dessous de lui, sa maison d’enfance engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa en 1973. Un récit poétique avec pour toile de fond la violence de la guerre.
La littérature est-elle l’antidote à l’information en continu, qui nous traverse et nous laisse indifférents au final ?
Absolument. En fait, on parle peu de la Syrie, à part pour « fêter » de façon ironique les dix ans du printemps de Damas. Et lorsqu’on en parle, c’est souvent de façon froide à coups de chiffres : nombre de morts, de villes détruites. Les gens se détournent de cette accumulation de statistiques, alors qu’il s’agit de notre humanité. Ce qui se passe en Syrie nous concerne. Il n’y a pas deux humanités, il n’y en a qu’une. Quand on blesse un enfant en Syrie, c’est la même chose que si on blesse un enfant ici. Il est temps que la littérature joue un rôle politique, d’éveil de conscience.
La plongée de Mahmoud est sous-marine et dans les souvenirs. D’où vient cette image ?
Cette image m’a été donnée par le réalisateur syrien Omar Amiralay, qui a passé sa vie à filmer dans la région du lac el-Assad. Dans l’un de ses films, l’image d’un vieil homme sur une barque au-dessus de son village englouti m’a bouleversée. C’est une image absolue pour raconter le temps qui passe, la manière dont l’eau des souvenirs monte en nous au fur et à mesure que l’on vieillit. On s’éloigne de la rive de l’enfance, de certaines joies que l’on a connues. Tout s’éloigne de nous mais reste disponible. Cela me touchait qu’on voit ça dans l’eau en transparence.
Comment êtes-vous entré dans la peau de Mahmoud ?
Je me suis beaucoup documenté. J’ai des amis dans ces régions du monde, j’étudie l’arabe. Je ne me suis pas posé la question de la légitimité : le propre du métier d’écrivain, c’est de passer d’une identité à une autre. En cela, il est proche du métier de comédien : on endosse un rôle qui n’est pas le nôtre.