Ballast, 30 septembre 2021, par Élie Marek

Il y aurait deux violences, celle, légitime, de l’État, et une autre, réprouvée parce que terroriste : « Entre les deux il n’y a rien. » Ainsi fallait-il choisir durant les dix années qui suivirent 1968 de quel côté on se situait. Mathieu Riboulet n’a pas tardé à trouver sa place et s’en fait ici le témoin. Pour lui, alors, révolution sociale et révolte des corps vont de pair : « Conscience sexuelle et conscience politique c’est tout un, être pédé ça vous déclasse en un rien de temps. » Et c’est cette double éducation qui, finalement, semble former ces rives entre lesquelles plus aucun fleuve ne coule. Sur le lit désormais nu, des noms s’égrainent : ceux, répétés, des jeunes gens morts en Allemagne, en France ou en Italie, parce qu’ils étaient en lutte ou parce qu’ils venaient d’ailleurs ; ceux, aussi, des hommes aimés âprement, pendant ces quelques années qui ont précédé l’hécatombe du sida. Scènes intimes et publiques se télescopent : « L’Italie, en 1978, c’est Massimo planté en moi et partout la tiédeur, c’est mai et Aldo Moro meurt. » On entend déjà les voix courroucées trouver grossier ou malsain de telles collusions. Mais, nous rappelle Riboulet, l’obscénité ne se situe pas là où on la croit la mieux installée. Il est bien obscène, oui, de « mourir en guerre dans un pays en paix », comme il est obscène de voir les images de camarades aux gueules fracassées, à travers l’Europe, sans que l’on s’en inquiète, comme est obscène, enfin, le traitement infligé quotidiennement à ce qui est poreux, sale ou sali. « Ce ne sont ni les putes, ni les pédés, ni les casseurs qui agissent contre la morale, ce sont les bâtisseurs de la Sonacotra, les régisseurs de bidonvilles, la justice qui tricote à l’ombre des assemblées, les assemblées qui tricotent à l’ombre des électeurs. » Aussi Entre les deux il n’y a rien dresse-t-il une stèle à la joie et à la colère de ces années-là : « en dehors des livres on ne bâtit jamais de monuments aux morts pour les morts de la paix ».