Études, décembre 2021, par Jean-Philippe Pierron
Bergson, Camus ou Russell, et même Sartre qui le refusa, ont en partage d’être des philosophes à qui l’on décerna le prix Nobel de littérature. C’est à prendre au sérieux cette distinction, c’est-à-dire comme l’occasion de donner à penser les relations entre philosophie et littérature et l’enjeu de l’expression, que se consacre cet ouvrage. On est trop superficiel lorsqu’on dit d’un philosophe qu’il écrit bien, que sa phrase est élégante et fluide, et « tellement française ». Car on rate, ce faisant, la radicalité du travail sur la langue qu’il y engage. Le choix d’un dispositif énonciatif est philosophique. Bruno Clément suggère ainsi que toute philosophie – de Socrate qui préfère la parole à l’écriture, à Platon qui invente la forme du dialogue jusqu’à l’aride Kant qui mobilise comme une nécessité d’écriture le recours à l’hypotypose – se confronte nécessairement à l’examen des relations entre la forme et le fond. Pour Bruno Clément, « aucune pensée (la philosophie est un mode de pensée parmi d’autres) n’est pure de l’appareil langagier qu’elle a forgé pour se faire connaître » (p. 296). Sans proposer une nouvelle interprétation de la philosophie de Bergson, il se livre à l’examen textuel, précis, attentif et soutenu, de son style d’écriture, de « l’esprit de la forme ». Se découvre alors une philosophie qui tente de subvertir le langage aux mots nécessairement discontinus par le langage poétique. La philosophie est poétique non par accident, mais de nécessité.