Livres hebdo, janvier 2022, par Marie Fouquet

Cœur brûlant

Hélène Laurain dresse le portrait de la génération zapping des années 1980-1990, dans une forme d’écriture étonnante. Partout le feu démarre in medias res, sans majuscule, sans contexte, sans jamais de ponctuation. Cette radicalité déstabilise à bien des égards. L’auteure emploie des retours à la ligne permanents – on pense à Joseph Ponthus –, imposant un rythme en décalage, qui parfois fait buter la lecture, parfois entraîne dans une vague effrénée de dialogues, d’actions drôles, explosives ou pathétiques. Mais qui, toujours, parvient à saisir le lecteur, à l’occasion d’un trait d’humour, d’une image forte ou d’un extrait de paroles musicales.

La narratrice est une antihéroïne à la Daria – ce personnage de la mini-série américaine éponyme, une adolescente blasée, intelligente et sarcastique, à la voix monocorde, qui cache sa sensibilité sous sa misanthropie et son asociabilité. Elle décrit son quotidien amical – avec Fauteur, Balec, la Taupe… – et familial – la rupture est progressive avec Pépou, La Sœur (jumelle, qui ne lui ressemble pas du tout) et son beauf Dans-le-sens-où, qui pensent à l’interner. Sans compter qu’elle doit « faire son deuil » de Mémou.

« Fauteur est en face de moi cette fois / d’une camionnette à l’autre / on se regarde / son visage à lui m’encourage / je pense / ils ont la police / on a la peau dure. »

Les personnages sont eux aussi, selon le point de vue, en décalage : des outsiders surdiplômés, qui commencent saisonniers dans une station de ski, et qui finissent suicidés de la société. Ce roman ultra-contemporain donne une vision de l’ère du zapping qui est la nôtre à travers le portrait d’une génération, celle des années 1980-1990.