Le Canard enchaîné, 2 février 2022, par Frédéric Pagès

T’as le bonjour d’Aphrodite !

Chef de service dans un hôpital parisien, le professeur Mortillon, habile à négocier des « protocoles de recherche grassement rémunérés par les laboratoires pharmaceutiques », « aime faire étalage de son savoir », entouré d’« adjointes superbement carrossées ». Son équipe d’hygiénistes indécrottables fait la morale aux alcooliques sans avoir lu une ligne de Charles Bukowski. Négligeant les avertissements de son médecin, qui lui prédisait la mort au moindre verre, l’écrivain avait repéré un bistrot à sa sortie de l’hôpital : « Il était allé y siroter un whisky, “pour vérifier”. »

Faisant fonction d’interne, le narrateur cherche le salut dans les bras de sa glamoureuse consœur Alexia Maurer. Adepte du diagnostic éclair de quidams entrevus dans la rue, cette créature est convaincue que « la médecine s’apprend au bistrot, et la psychiatrie dans les romans ». Mais la bien-aimée se révèle inconstante et cachottière. Cela se soigne, docteur ?

Pour les blessures de l’âme, un bon dictionnaire de mythologie grecque vaut mieux que le Vidal. Notre étudiant en médecine s’y plonge, ce qui nous vaut des intermèdes savoureux où souffre « Thésée qui aime Phèdre qui aime Hippolyte qui aime Aricie ». Les Grecs avaient tout compris : voir Éros torturer les locataires de l’Olympe met du baume au cœur aux mortels. Comment traduit-on « Amour, gloire et beauté » en grec ancien ?

Le narrateur s’en fout : préparant le concours de l’internat, il explore les délices de la « périarthrite scapulo-humérale ». Bientôt incollable sur le « cancer du col utérin », et la « réglementation vaccinale », mais toujours incapable de concilier « le métier de médecin et la création littéraire ». Patience… Écrit sur un ton goguenard, ce livre épatant nous permettra peut-être de faire bonne figure quand nous arriverons « devant Hadès, Perséphone, Charon, Thanatos, Hécate […], saint Pierre ou Dieu […] ». Psychiatre dans le civil, auteur notamment de Marcher droit, tourner en rond, Emmanuel Venet a trouvé la sortie du labyrinthe.

Avis aux thésards qui rêvent d’être Thésée !