Le Monde des livres, 11 mars 2022, par Xavier Houssin
Les vocations d’Emmanuel Venet
Une année – 1981 – dans la vie d’un étudiant en médecine attiré par l’écriture. Virgile s’en fout, subtil récit de soi.
Continuer tout droit ? Pourquoi ne pas tourner ? Fichu labyrinthe. Des hasards, des embûches. Les méandres de nos vies n’ont pas grand-chose à envier aux tortueux détours du palais du roi Minos. Celui qu’il fit construire pour y enfermer son Minotaure. On a beau hésiter, et même penser se perdre, il faut tracer son chemin. En évitant le pire. En espérant le meilleur.
Virgile s’en fout, le nouveau livre d’Emmanuel Venet, raconte la traversée d’une année d’un étudiant en médecine à l’heure de ses choix. Les amours ? La carrière ? À bientôt vingt-cinq ans, le narrateur tâtonne, s’empêtre. Se débat tout autant. Il se raconte des histoires. S’invente la sienne et l’inscrit dans son temps. C’est un rien désenchanté, drôle souvent pour ne pas être grave. Mais, à mesure qu’avancent les mois de cette chronologie intime, on glisse doucement d’un roman d’apprentissage léger au roman d’une vocation.
Tout commence au matin du 1er janvier 1981 (l’année, souvenez-vous, de l’élection de François Mitterrand). Notre narrateur se réveille encore embrumé dans le lit d’une Italienne qu’il a rencontrée le soir du réveillon chez son ami Antoine. Il se souvient vaguement qu’elle lui a parlé mythologie grecque et qu’elle s’est étonnée qu’il n’y connaisse à ce point rien. Il se rattrapera vite, peut-être en souvenir de leur aventure sans lendemain, mais sans doute aussi parce qu’elle lui a dit que toutes ces « vieilles légendes » lui en apprendraient plus long sur l’âme humaine que ses cours de médecine.
Force lui est de reconnaître que le quotidien des relations de famille des dieux, déesses et héros de l’Antiquité ressemble à un peu ragoûtant sac de nœuds. Démêler ? Dépêtrer ? Les complications de son existence apparaissent bien moins tragiques. Finiratil cardiologue à Valsannier, en Franche-Comté, marié à Chantal Magnard avec une ribambelle d’enfants, ou plongera-t-il dans les périlleux délices de sa passion pour Alexia Maurer, la nouvelle externe du service du professeur Mortillon ? Il y a l’hôpital, les gardes, les patrons, les collègues, les patients et leurs singuliers destins. Avec Alexia, il se met à fréquenter les réunions de la librairie du Temps perdu où, sous la houlette de Bruno Veyssière, le libraire, des amateurs de littérature et de pouilly-fuissé tentent d’établir, semaine après semaine, « la liste mouvante des cent plus beaux livres de langue française ». Et cela le conforte. Car il peut bien l’avouer, ce qu’il veut, c’est écrire.
Virgile s’en fout reste un récit de soi. Emmanuel Venet y joue un subtil colin-maillard. Il effleure, se souvient, reconnaît. Psychiatre, comme le devient d’ailleurs le narrateur de son livre, il a publié aujourd’hui une dizaine de livres. Le premier, Portrait de fleuve (Gallimard, 1991), accompagnait, en errance, en rêverie, en nostalgie, le retour d’un homme dans sa ville natale après une longue absence. Il y était déjà question de ce qui se passe sous la surface, sous le temps. Car dans la vivacité, la dérision enjouée et douce de son nouveau texte se cachent des préoccupations au long cours. Des histoires un peu obsessionnelles de mots justes, de mise en ordre. Des histoires de regrets, de quête d’origine. Il faut relire tout Venet, son Précis de médecine imaginaire (Verdier, 2005 et Verdier/poche, 2022), ses Observations en trois lignes (La Fosse aux ours, 2020), à la manière de Félix Fénéon.
Dans la liste des « cent plus beaux livres de langue française », la belle Alexia Maurer veut ajouter un titre de Robbe-Grillet, paru chez Minuit en 1959. On aura deviné que c’est Dans le labyrinthe.