Télérama, 16 mars 2022, par Valérie Lehoux
Parce que son père vient de mourir, laissant derrière lui une bibliothèque qui déborde d’ouvrages sur un seul sujet, l’Algérie, une femme plonge dans le passé. Le sien, celui de sa famille et, à travers elle, celui du pays qui l’a vue naître et grandir jusqu’à ses douze ans. En cent vingt-huit pages (presque autant que d’années de présence de la France en Algérie), le récit de Béatrice Commengé entremêle les strates de souvenirs, exhumés de sa mémoire, débusqués dans les livres ou déduits des photos de ses aïeux – deux grands-pères arrivés de France, une grand-mère née sur place. Baignés d’odeurs d’arums et de figuiers, ils tissent un peu de l’histoire des pieds-noirs, sans nostalgie, avec même de la reconnaissance pour un temps qui fut, pour elle, béni. La guerre avait beau avoir débuté l’année de ses quatre ans, la fillette continuait de partager ses jeux, rue des Bananiers, avec les autres enfants du quartier, aux racines européennes, arabes, kabyles. Redoutant plus les tremblements de terre que les combats d’adultes, même si, rue des Bananiers, passait aussi la petite voisine amputée d’un bras après l’attentat du Milk Bar. Remarquable d’élégance et d’intelligence, ce petit livre explore, jusqu’au départ inéluctable, les contours d’une géographie intérieure redessinée par l’Histoire. Un récit intime à la portée hautement politique.