Télérama, 6 avril 2022, par Stéphane Ehles
C’est fou ce qu’il peut se passer de choses lors d’une année électorale… Ainsi en 1981, alors que Mitterrand accède au pouvoir, un étudiant en médecine à Lyon s’interroge sur son avenir : fonder une famille avec sa copine étudiante en pharmacie et devenir un généraliste rangé, ou écrire sur la vie, l’amour, la mort ? Le narrateur du dernier roman d’Emmanuel Venet en est là. Et l’année contée ici avec causticité, entre deux réveillons de nouvel an, se mue en un extraordinaire enchevêtrement. C’est que le narrateur, qui ressemble assez à l’auteur (psychiatre et auteur, notamment, de Marcher droit, tourner en rond, en 2016, ou de 49 Poèmes carrés dont un triangulaire, en 2018), est un passionné. Des femmes, qu’il aime éperdument, de la littérature, devenue un viatique, de sa vie, dont il cherche inlassablement à bâtir le récit, des mythes antiques (dont la vraisemblance importe peu, puisque Virgile lui-même s’en fout…).
À partir des vies multiples qui s’imbriquent, celles de l’étudiant qui va réussir son internat, de ses conquêtes féminines, des pontes de la médecine qui le forment mais ne le déformeront pas, de Didon et Énée ou d’un libraire qui s’évertue à dresser la « liste mouvante des cent plus beaux livres de la langue française », Emmanuel Venet tisse un délicieux roman labyrinthique en train de s’écrire (en quatre-vingt-onze chapitres, en hommage à Raymond Queneau). Et qui paraît en pleine année présidentielle, comme un clin d’œil facétieux qui sied à cet auteur singulier et subtil.