Télérama, 7 avril 2022, par Michel Crépu
Chalamov, le chat sauvage rescapé du goulag
Le revoilà, l’homme dont Soljenitsyne dit, à la première page de L’Archipel du goulag, que s’il y a un écrivain pour juger de son travail, c’est bien lui. Soljé aurait bien voulu qu’ils l’écrivissent ensemble, ce fameux Archipel, et cela ne s’est pas fait. Il y allait d’un enjeu de vérité dans la transmission des événements terribles. Varlam Chalamov (1907-1982) était un rayon laser, il ne laissait rien passer. Par exemple : on voit un chat traverser une page de la Journée d’Ivan Denissovitch, de Soljenitsyne… Impossible, dit Chalamov, un animal dans le camp était immédiatement dévoré par les détenus. Soljenitsyne admirait Chalamov de ne rien laisser passer ainsi, et nous, ses lecteurs d’aujourd’hui, ressentons encore cette lame d’acier faire son tri entre le vrai et le faux. Ailleurs, Chalamov écrit que toute littérature, si juste soit-elle, n’est que mensonge. Au moins c’est clair.
Dix-neuf ans après avoir fait paraître l’édition intégrale des Récits de la Kolyma, les éditions Verdier publient aujourd’hui, sous le titre Souvenirs de la Kolyma, un recueil de textes inédits, datés à cheval sur la fin des années 1950 et la venue des premières années 1960. Varlam Chalamov a passé vingt ans au goulag, il en est sorti en 1953, et son retour à la vie libre se passa très mal avec sa fille et sa femme, qui le jugeaient un mauvais élément. Quelques photos illustrent une édition des Récits de la Kolyma parue à La Découverte en 1986. On voit un vieil homme assis sur son lit d’hôpital, comme un chat sauvage, croyant sans cesse qu’on vient l’arrêter encore.