Le Monde diplomatique, mai 2022, par Ernest London
Après avoir disséqué le procès France Télécom dans Personne ne sort les fusils, Sandra Lucbert poursuit son travail littéraro-linguistique et continue à faire jouer la redoutable Lingua Capitalismi Neoliberalis. En s’en prenant aux ardents contempteurs de la dette publique, ministres intègres, experts de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Cour des comptes, spécialistes de l’« escamotage politique par la technique », elle met en évidence les ressorts utilisés pour justifier les baisses de dépenses publiques, et dissimuler que celles-ci sont surtout rendues nécessaires par la diminution des impôts « poulies fortunés et pour les entreprises ». Mobilisant la théorie freudienne des rêves – mais aussi le « monde merveilleux » d’Alice et de Madame Bovary –, elle décrit le « maquillage » des discours hégémoniques destinés à faire accepter l’inacceptable. À la langue anesthésiante et manipulatrice des serviteurs zélés de l’économie, Lucbert répond par la littérature : des formules au scalpel pour décortiquer le jargon et l’entourloupe, rendre patente la supercherie et « rétablir des prédicats effacés ». Un ouvrage d’une puissance critique implacable.