Décision & stratégie santé, mai 2022, par Gilles Noussenbaum
Notable et rebelle ou vice versa
La littérature a longtemps été la fille aînée de la médecine. Mais aujourd’hui la majorité des fidèles a déserté, happés par la religion des chiffres et des statistiques. Quelques officiants toutefois entretiennent la mémoire du culte. Emmanuel Venet est l’un de ces hérauts remarquables. Le regard bleu, le cap de la soixantaine franchie en 2019, l’écrivain-médecin ou l’inverse n’en finit pas de butiner l’une pour nourrir l’autre. « À rebours du courant médical dominant, Ferrand estime qu’on apprend autant la médecine dans les romans qu’à l’hôpital », ose-t-il écrire dans son dernier livre Virgile s’en fout, aimable éducation sentimentale d’un étudiant en médecine en 1981, année folle d’élection présidentielle et de concours de l’internat où les vainqueurs n’étaient pas toujours ceux que l’on attendait. Mais loin de se limiter à nouer la petite et la grande histoire, Emmanuel Venet déroule un autre fil, celui de la mythologie, dans les suites d’une nuit de la Saint-Sylvestre où le héros a plongé dans les bras d’Ariana, ceci expliquant cela. « J’ai d’abord été séduit par cette idée de labyrinthe. Puis, ces acteurs de la mythologie sont affreux, sans vergogne. J’ai ensuite lu l’Énéide. Je ne l’avais pas lue. J’ai découvert un continent. » On invitera le lecteur à goûter cet exercice de correspondance entre le proche déjà éloigné et le lointain où la mélancolie se travestit au hasard des pages en humour féroce. Personne n’est épargné, surtout pas ces mandarins ivres de leur fatuité ou ces demoiselles qui feignent d’ignorer le pouvoir qu’exerce leur séduction sur des individus mâles à peine sortis de l’adolescence. Pour autant ces noces entre la médecine et la littérature n’étaient pas écrites d’avance. Si sa mère a fortement incité le petit Emmanuel à faire médecine, la vocation d’écrivain est née tardivement. « C’est peut-être lors de la rédaction de ma thèse consacrée à la honte où j’ai lu tout Dostoïevski, Proust et Kafka », reconnaît Emmanuel Venet. Primo Levi, l’ingénieur chimiste revenu des camps et son livre Le Système périodique, a été une autre source d’inspiration. Aujourd’hui Emmanuel Venet exerce à mi-temps comme psychiatre. Le temps disponible est consacré à l’écriture. Cela permet d’éviter les fins de mois difficiles « où se concurrencent le médecin notable et l’écrivain rebelle », selon l’aveu d’Emmanuel Venet. En tout cas, cet emploi du temps se révèle particulièrement fertile. Trois nouveaux livres chez trois éditeurs différents sont annoncés dans les prochains mois. Pourquoi autant écrire ? « Écrire sur rien, pour rien, lit-on dans Virgile s’en fout, sinon pour prolonger la musique entêtante qui me vient d’autrui, et m’aide à résister aux chagrins de la condition humaine. » Tout est dit ?