L’Humanité, 16 juin 2022, par Muriel Steinmetz
L’urgence écologique sur un mode syncopé
Voilà un premier roman flamboyant, radioactif. Il marche à la cadence du vers libre. L’héroïne, Laetitia, vit en Lorraine, devenue un cimetière de déchets nucléaires. Née trois minutes avant sa sœur jumelle, Margaux, et trente-sept minutes avant l’explosion de Tchernobyl, elle squatte la Cave avec Taupe, Thelma, Fauteur, Dédé, écolos activistes pris par « la furie verte ». Génération Tchernobyl bouleversée par le documentaire de Nicolas Humbert Wild Plants. Dénommés les « malfaiteurs », ils s’acharnent à se battre contre la destruction programmée de l’écosystème. C’est aussi l’autoportrait en creux d’une jeune femme résistante, jadis assidue aux lois du marché productiviste, qui a renié ses études de commerce. Isolée dans le monde de la fiction capitaliste dans laquelle elle a grandi, elle est en deuil des espèces en train de disparaître. Les seuls animaux présents dans le livre végètent derrière les grilles d’un zoo.
Le texte d’Hélène Laurain (née à Metz en 1988) tire le signal d’alarme écologique en de fréquents retours à la ligne. Face à un monde en ruine dûment dénoncé, sa prose, propice à la profération, contaminée par la brièveté du mode SMS, s’avance saccadée, via l’énumération ultrarapide, façon Post-it. Une forme quasi orale, proche en son flux des réseaux sociaux, de la vidéo, des consciences gavées d’informations, heurtée d’arrêts sismiques, sans fin reprisée par l’action continue, préambule au grand désastre. Un texte tout feu, tout flamme, dans l’esprit de « la furie verte », afin de conjurer les grands périls qui menacent la biosphère.