Lire – le Magazine littéraire, juillet 2022, par Camille Thomine
Grimm à son compte
Il était une fois un papa habillé en femme, une maman toujours nue et leurs trois fillettes assoiffées de plaisir. Ainsi commence le provocant conte d’Anne Serre, qui n’emprunte son titre à Grimm que pour mieux le grimer. À l’âge où les demoiselles portent des petits pots de beurre, la narratrice se fait poupée vivante et complaisante, rompue aux saillies et caresses que lui prodiguent les adultes, appuyés à la table luisante « comme un lac gelé » de la salle à manger. D’agapes en orgies, le conte va son petit contre-chemin, renversant le schématisme et la morale du genre en même temps que les sermons de l’assistance sociale… Avec le temps, cependant, même le plus gelé des lacs finit par se fendiller. Et qui peut dire, alors, ce qui s’y reflétera ? Pour cette réédition de Petite table, sois mise !, deux contes de la même espièglerie viennent compléter ce condensé d’indécence caustique. L’un, centré sur une énigmatique et polysémique carte de tarot, « Le Mat » ; l’autre sur « Le narrateur » dont les amis dépossédés de leurs histoires finissent par lui demander des comptes… ou peut-être d’autres contes ?