Transfuge, 1er septembre 2022, par Damien Aubel
Japanese Whispers
Faux conte japonais, vrai petit chef-d’œuvre, le David Bosc est une réussite.
« Sympathique », le petit livre de David Bosc l’est d’abord dans l’acception la plus commune de l’épithète. Et ce n’est pas son moindre charme que, sur la pompe, le tapage et l’outrance de la Littérature (à prononcer avec majuscule et air pythique et pénétré), cette préférence donnée à l’art faussement modeste de la fable. Le ton a la franchise de la confidence, de la conversation assouplie, desserrée, réchauffée par l’intimité du verre partagé. À la fois apogée et germe du livre, qui semble n’en être que le développement et l’approfondissement, il y a ainsi ce colloque où coule l’alcool, entre Ryoshu, le narrateur-marcheur, et cet homme qu’il rencontre au bout de sa pérégrination. Cette simplicité de manière s’allie avec une facilité inattendue (ce n’est que le livre refermé, en le ruminant, qu’on s’avise du contraste) à une profusion lyrique, métaphorique ; cette ouverture de soi sans expansivité tyrannique se conjugue avec un art concentré, médité, du paysage : ce récit tout simple du voyage d’un homme, qui obéit à la règle des rencontres de hasard, et épouse les mouvements de la pensée et de la mémoire, elles aussi itinérantes, est serti d’allusions et de citations à la poésie et à la pensée de l’Extrême-Orient. C’est que Le Pas de la Demi-Lune se situe dans un Japon d’autrefois, quintessencié mais jamais abstrait – un Japon d’antan, mais rêvé, épuré, doté de l’inconsistance paradoxale du monde des fables, ce inonde qui se dissipe comme une brume si on tente de l’éclaircir par l’intelligence, mais dont la présence est si intense, si insistante, que le lecteur ne peut qu’avoir le sentiment d’y participer.
Telle est l’essentielle sympathie qui commande tout le livre, le principe qui en régit le développement, les scènes et la lecture, comme une transfusion de tous les instants entre les êtres et les choses, le livre et le lecteur, Ryoshu et le paysage, le passé et le présent… Ryoshu, pèlerin du souvenir (belles considérations sur la nostalgie), est parti retrouver les lieux de son enfance, mais il n’a rien de la sphère compacte qui ne réfléchirait qu’elle-même dans la galerie des Glaces du passé. Il est plutôt une pierre (le commencement du livre coïncide avec l’édification d’un mur) – et quid alors des autres pierres ? C’est le mystère de celle sympathie qui réunit les atomes individuels en communauté, qui fait ou défait les peuples, les révolutions, les transactions, que David Bosc, tirant un remarquable parti des ressources de la fable, des possibilités de synthèse et d’abréviation offertes par la simplicité de l’apologue – c’est ce mystère qu’au gré des évocations de l’histoire de son Japon, au fil des discussions, Ryoshu élucide moins qu’il ne l’expose. Mais la fable est trop intelligente pour l’utopie. Ryoshu et David Bosc ont trop de sympathie pour l’homme pour ne pas prendre en compte ses vices de conformation morale, ses faiblesses inévitables : on ne cherchera ici nul programme travesti en conte édifiant : on y trouvera le sourire chaleureux d’une gaie sagesse.