Ballast, 29 septembre 2022, par L. M.
Jean-Luc et Jean-Claude s’en sont allés un peu plus loin qu’à l’accoutumée : ils devaient être rentrés pour 17 heures au foyer, mais les voilà perdus dans le froid, entre les poneys et les phoques, tapis dans une cabane de chasse à écouter parler un drôle de monsieur, ramasseur de champignons, ici cueilleur improvisé de Jean-Luc et Jean-Claude, qui leur offrira de quoi passer la nuit au chaud. Cette scène est nichée parmi d’autres, dans une suite de séquences qui s’enchaînent assez rapidement et dont l’écriture épouse chaque fois la langue et les pensées de personnages en proie à différents tracas, observant et sentant l’écoulement du temps dans des paysages de prés salés balayés de pluie — avec inquiétude, impatience ou irritation. Beaucoup de choses sont dites dans ce premier roman irrigué de dialogues vifs, mais d’autres se laissent deviner. On sent que Jean-Luc craint ce qui viendra demain vendredi, on sent la liberté et la joie qui, pour les deux hommes, peuvent vite prendre la figure du danger lorsqu’ils sont trop loin au dehors. On sent des choses qui vivent et se répondent : des rêves de phoques ou de vieille dame, la détresse rageuse d’un jeune qui n’a plus de quoi faire le plein et roule fenêtres au vent, les bons conseils des curateurs ou éducateurs qui peuvent aider quand il s’agit d’avancer dans cet univers mélancolique et bizarre. Il y a le PMU, l’Intermarché, le rond-point, le littoral, Abbeville, Louviers au bout de la nationale, et puis la plage avec ses phoques, son association Nature en baie et les hordes de scolaires qui y débarquent en sortie pédagogique. On avance au petit bonheur, au petit malheur dans cette histoire, en constatant l’importance d’objets ou de paroles qui sont parfois des balises rassurantes, parfois des torpilles en puissance. Le roman n’explore ni en long ni en large des personnages qui auraient psychologies et existences bien ficelées — il les côtoie un moment, nous les présente et nous fait faire un petit bout de chemin avec eux.