Études, novembre 2022, par Laurence Devillairs
Carlo Ginzburg est un historien comme on souhaiterait qu’il y en ait davantage. Un historien universel, qui observe et déchiffre l’histoire partout où elle se joue : en littérature, en philosophie, en théologie, en politique. Un historien des idées, et le meilleur qui soit. Il ne s’intéresse pas seulement ici à Machiavel et à Pascal mais, à travers eux, à l’avènement de la modernité, qui semble se préciser autour de la question des rapports entre force et justice. On connaît l’affirmation de Pascal : « Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » On sait aussi que la stabilité du pouvoir exige du Prince, selon Machiavel, d’« entrer dans le mal ». Telle est la « dimension tragique de la politique », selon l’auteur, que le bien ne triomphe jamais par sa force propre. En soulignant que les institutions ne reposent ni sur la vertu, ni sur la justice, que tout gouvernement est une imposture qui a réussi, Pascal dissocie la Cité des hommes de l’exigence de vérité. Il va même jusqu’à prôner qu’une erreur communément partagée est préférable à une démystification potentiellement séditieuse du pouvoir. Ce faisant, Pascal comme Machiavel instaurent la modernité, cet âge où vérité et politique vivent dissociées, où force et imagination se relaient pour façonner la Cité des hommes. Peut-être est-il possible de lire dans la crise actuelle de l’autorité, les institutions ne valant plus par elles-mêmes et les lois n’étant plus suivies simplement parce qu’elles sont les lois, une des conséquences lointaines de l’avènement de cette modernité. On ne peut que saluer l’érudition, la liberté et la finesse des analyses ici fournies par Ginzburg.