Le Point, 27 octobre 2022, par Valérie Marin La Meslée
Jean-Luc et Jean-Claude : la liberté sous curatelle
Ils s’appellent Jean-Luc et Jean-Claude. Vivent en foyer. Sous curatelle renforcée pour l’un, sous tutelle pour l’autre. Ne sortez pas les mouchoirs : ce livre est si drôle ! Et si respectueux à la fois. Ces deux amis pas tout à fait comme les autres (qui, les autres ?) ont de joyeux souvenirs à Abbeville, dans leur vie d’avant, celle du « milieu ordinaire » dont ils ont été retirés. Le jour où débute leur folle équipée, ils s’en vont au bistrot, sortie autorisée mais pas au point d’y valider une grille de Loto. Qu’à cela ne tienne, ils monteront dans la voiture de ce jeune homme blond, un gars d’Abbeville, chouette, qui les emmène dans la ville voisine pour ce faire. La tempête gronde, tout ne se passe pas comme prévu, et voici nos deux compères livrés à eux-mêmes ou presque… Pendant que la directrice du foyer honnit ces gendarmes incapables de retrouver ses brebis perdues, celles-ci se régalent d’aller voir les phoques de la baie, ivres de leur soudaine liberté.
Dans ce roman d’une folle audace – car c’en est une que de donner la parole, si juste à l’oreille, à deux quinquagénaires dont les comportements déstabilisent –, tout le monde a droit d’expression, même les animaux. Que d’expériences partagées dans ce road-movie singulier (ambiance Maine-Océan, le film de Jacques Rozier) où s’exprime la marginalité silencieuse ! Écouter les autres, envoyer valser les étiquettes pour s’approcher des battements de cœur, dégager l’horizon. Laurence Potte-Bonneville, qui a travaillé avec des handicapés, les fait entrer en littérature sans « faire de la littérature ». On est dans la vie même. Magnifique défi relevé par ce premier roman récompensé par le prix Stanislas 2022.