Télérama, 10 janvier 2023, par Juliette Cerf
Une histoire du vertige
Camille de Toledo « Entre un horizon d’éclatement et une soif de reliaison »… C’est dans le vertige de cet entre-deux, écologique, philosophique et poétique, que Camille de Toledo puise le souffle de son écriture, tressée dans le destin de l’Europe depuis le magnifique Le Hêtre et le Bouleau. Essai sur la tristesse européenne (Le Seuil, 2009). Dans son nouvel ouvrage, l’équilibriste, hier Thésée enclos dans un labyrinthe psycho-généalogique (Thésée, sa vie nouvelle, Verdier, 2020), aujourd’hui Don Quichotte pris dans mille histoires et narrations (« dans une nature saturée d’encodages : un monde sur-écrit, réécrit, travaillé et usé par toutes nos biffures »), affine le tracé de sa route. « Tôt, je me suis fixé une tâche : ne pas me soumettre au verdict des apocalypses, raconte l’écrivain né en 1975, terrassé par le suicide de son frère et le décès brutal de sa mère. Répondre à la culture de la mort, au deuil, à la disparition des êtres auxquels nous sommes liés. Je me suis toujours placé dans le sillon de ce qui cherche à relancer la vie ; mais rien ne peut être écrit et vu de ce qui sauve si nous ne repartons pas du plus obscur de notre temps. C’est de la ruine qu’il faut repartir »…
Née d’un cycle de conférences données à Paris en 2017, à la Maison de la poésie, émaillée de tableaux, photos, dessins et schémas, Une histoire du vertige questionne le sens de l’« expérience limite » que nous sommes en train de vivre, celle « où le sujet se dissout, s’évanouit, perd pied », alors que la séparation entre nature et culture ne fonctionne plus, alors que l’homme « après des siècles de narrations modernes qui en ont fait une entité séparée, à distance, souveraine, découvre dans la ruine que son sort est entièrement solidaire des autres formes de vie ». Comment « réinscrire la vie humaine parmi les autres formes du monde » ? Comment « être forêt, être oiseau, être fleuve, être montagne » ? Camille de Toledo s’y emploie avec délicatesse, en proposant une traversée de différents textes littéraires, Danube de Claudio Magris, Tandis que j’agonise, de William Faulkner, Vertiges, de Winfried Georg Sebald, Moby Dick, de Herman Melville, ou encore Le Livre de l’intranquillité, de Fernando Pessoa.