L’Humanité, 2 mars 2023, par Alain Nicolas

Christophe Manon dit en vers la traversée des enfers

L’auteur d’Extrêmes et lumineux choisit la forme poésie et le patrimoine littéraire pour raconter sa marche sur les traces de ses ancêtres italiens.

De Perugia, Pérouse, en Ombrie, Elisa et Pasquale, les arrière-grands-parents de Christophe Manon, sont venus en France. En 1922, selon la date portée sur le passeport d’Elisa Frondizzi, que l’auteur de Porte du Soleil a en main. Ils ne sont jamais revenus en Italie. Aucun de leurs enfants non plus. De leur descendance, Christophe Manon est le premier à franchir le pont qu’ils avaient coupé. Le premier à « marcher sur les traces » de cette part maternelle de sa famille. Il va, muni de ce passeport venu du passé, pour le pays des morts. Les morts sur qui il va écrire, comme il l’a annoncé à l’institution qui, par une bourse d’écriture, a payé le prix de son passage du côté des origines.

Un regard aussi politique

Passer d’un côté à l’autre est une épreuve, « un long et pénible périple ». « En vérité je vous le dis », insiste-t-il, adoptant la formule de l’Écriture. Nous sommes avertis. Ce qu’a vécu Christophe Manon est une expérience qui touche à l’essentiel, et il va nous la dire comme les évangélistes, les prophètes, les poètes épiques. Comme saint Augustin, comme Virgile. Il entre à Perugia comme on entre dans la « cité dolente » « C’était comme si j’étais condamné à errer seul sans fin dans cette cité où vécurent mes ancêtres, comme si j’étais perdu dans un des cercles de l’enfer chanté par Dante, et non au paradis. » C’est en vers, en effet, que l’auteur nous raconte sa « descente aux enfers ». Il renoue en cela avec une tradition ancienne. Les premiers « romans », tels ceux de Chrétien de Troyes, étaient en vers, et si nous sommes conditionnés à l’équation récit = prose, il est heureux que la tradition perdue de la poésie narrative fasse son retour. Dans Porte du Soleil, Christophe Manon se réfère à d’illustres modèles, sans dissimuler ni étaler les emprunts. Il évite les deux écueils de la pédanterie et de la connivence en partageant en annexe ce qui résonne dans son texte. Ni carnet de voyage, ni enquête généalogique, le livre est une traversée des enfers toute personnelle, racontée sans concession.

Le registre adopté, ajouté au choix du vers et aux formulations issues des grands textes évoqués, hausse les péripéties à l’échelle du salut du genre humain tout entier. Pour raconter une crise qui l’a saisi une nuit et l’a laissé sans souvenir, Christophe Manon emploie les mots de Dante : « Et je tombai comme tombe un corps mort » ou « j’avais abandonné toute espérance ». Il en va de même pour ce qui vient des Confessions (ou Aveux) de saint Augustin. Descente aux enfers, confession, c’est le double fil que tresse l’auteur. L’aventure personnelle se double en outre d’un regard sur la société et la politique, au moment où Salvini devient ministre de l’Intérieur.

Dante, saint Augustin et les autres laissent une place à l’espoir. Vient-il chez Christophe Manon de la « révélation » de la forme que pourra prendre le livre ? De la paix avec les morts qui ne demandent qu’à rester « sans histoires » ? On laissera au lecteur passer à sa façon la Porte du Soleil que nous ouvre Christophe Manon.