Le Matricule des anges, mars 2023, par Emmanuelle Rodrigues

Une poétique de soi

Le nouveau livre de Patrick Autréaux nous relate de quelle manière sa double vocation de médecin et d’écrivain s’est forgée durant son enfance.

Depuis 2009, Patrick Autréaux n’a de cesse de composer une œuvre cruciale, traversée par les thèmes de la maladie, de la passion amoureuse et érotique, indissociable d’une réflexion sur la création litté­raire. C’est bien ce que La Sainte de la famille laisse ressortir également : loin de constituer un choix anodin, écrire relève de la nécessité intérieure. Il existe un lien entre l’ascèse de l’écriture et celle qu’exige la connaissance de soi : « Ce livre ne sera peut-être jusqu’au bout que la recherche de détails en poussière, que je répugne à inventer et dont j’assemble les traces. Moins une histoire de famille ou celle d’un secret que ce qui filtre rarement du passé et appartient parfois à la littérature : ces émotions enfouies, souffrances et questions sans réponse, ce délaissement où l’on se croit et que personne ne vient apaiser, l’extinction anonyme de notre très intime, ce si humain qui disparaît plus vite que les chairs. »

Ce récit, qui s’apparente en effet à l’enquête la plus intime qui soit, nous donne à lire ce double élan qui porte l’écriture du côté de la vie et la vie du côté de l’écriture. Lorsque d’une génération à l’autre, maladies et deuils reviennent au sein d’une fa­mille, c’est alors tout un legs mémoriel qu’il faut questionner. Tel le témoin de sa propre histoire familiale, l’écrivain nous en restitue les traces les plus signifiantes. Au cœur de sa lignée maternelle, la figure tutélaire de Thérèse de Lisieux joue pour l’enfant qu’il fut, puis l’écrivain qu’il se prépare à devenir, un des rôles les plus importants de son roman familial. Peu à peu, il nous guide dans le dévoilement de sa « volière intérieure » qu’il lui incombe justement d’examiner. L’observation permet alors de faire surgir des perspectives inattendues. C’est le cœur du livre que de nous entraîner au cœur de la fabrique de soi. Alors que l’image de la sainte s’était estompée pour lui, l’auteur relit un jour son autobiographie, Histoire d’une âme : « Ce fut un choc. Comme elle, j’avais été séparé nourrisson de ma mère ; ma grand-mère s’était occupée de moi. À l’âge où la sainte perdit sa mère, je perdis ma grand-mère. […] Pourquoi adolescent, presque à l’âge où elle est entrée au noviciat, ai-je songé au monastère ? […] À trente ans, j’ai dû rester allongé une année dans un lit. J’y ai vu ma mort de près et aussi l’amour de ceux qui se sont occupés de moi. J’en suis revenu. Elle, c’est la tuberculose qui la rongeait. »

À partir de ce constat, le dialogue s’engage avec cette « grande guérisseuse », dé­signée comme « une sorte de sœur » : « Dès que je t’ai lue, vraiment lue, je t’ai parlé comme à quelqu’un qui comprenait. » Car, au fond, « Pourquoi ne pas concevoir les saints comme des êtres qui ne peuvent rien ? Et que leur héroïsme vient de là, de ne rien pouvoir mais d’écouter ces plaintes que personne ne veut accueillir. De nous accompa­gner ainsi. Nous avons autant besoin de témoins que de sauveurs. » Les Conseils à un jeune poète de Max Jacob se révéleront saisissants : « Max Jacob parlait du gouffre du sérieux par où doit passer toute écriture, et d’abord l’être humain pour le devenir. Être perméable, c’était pour ce facétieux poète être sérieux, dense aussi. » Il y aura aussi la découverte de Jean de la Croix puis un voyage à Tolède comme « dernière tentation religieuse ». Malgré tout, com­ment restituer la complexité de l’expérience vécue, comment rendre compte de ce qui a été traversé douloureusement ? Au sortir d’une confrontation avec soi-même, il reste peut-être que l’écriture prend véritablement sens comme force de vie, apportant « la lumière nue pour regarder le monde ».