L’Obs, 20 avril 2023, par Anne Crignon
L’exil intérieur
Dans la cafétéria d’un centre d’art, un homme vient s’asseoir chaque jour, et chaque jour il est plus seul. Il pourrait ne pas l’être (il y a du monde autour) mais sa solitude est intérieure. Ce sentiment d’exil, aucune amitié, aucune conversation ne saurait le briser. Ceux qui portent en eux cette forme de la mélancolie en ont dès l’enfance donné à voir les prémices. À cinq ans, le narrateur de cette étrange affaire se cache sous les bancs des préaux pour observer sans être vu. Plus grand, il passe ses journées dans les pages de ses livres. Des années se sont écoulées. Le sentiment de décalage a laissé place au déphasage selon la loi qui veut que tout ce qu’on ne résout pas s’aggrave. Le narrateur, qui ressemble de plus en plus à M. Cousin dans Gros-Câlin d’Émile Ajar, converse avec lui-même. Dans son esprit, il y a celui qui parle et celui qui écoute. Il les appelle « les deux dormeurs ». Son esprit fatigue car jamais ne fait relâche – ainsi sont les intranquilles. La serveuse qui porte si bien les tee-shirts à rayures le fascine et l’émeut mais il ne lui parlera pas. Se croire seul, c’est bâtir un mur invisible entre soi et les autres.