Le Courrier de l’Ouest, 12 mai 2023, par F. B.
Les champs magnétiques de Pierre Michon
Depuis vingt-sept ans, Yvonne la buraliste de Castelnau à la peau de lait et « au visage nu comme un ventre », patientait. Objet du désir qui tourmentait le jeune instituteur de « La grande Beune », elle revit par la grâce des Deux Beune, résurgence née des replis des affluents de la Vézère.
Dans ce pays de grottes, de rivières et de secrets enfouis, Pierre Michon célèbre d’une prose étourdissante le mystère des origines et l’ardeur de désirs fiévreux. Aux abords des deux Beune, non loin de Lascaux, il y a des trophées dérobés aux temps archaïques, des rennes et des bisons soudains effacés des parois, le paléolithique à portée de cueillette des enfants collectionneurs de silex, des sacrifices de renards perpétrés dans des éclairs roux.
Au centre du tableau, Yvonne souveraine, règne toujours sur les fantasmes du jeune instituteur et Jean le Pêcheur reste ce flibustier au trident sur les rivières indifférentes aux obsessions des hommes.
Maître malicieux du jeu des échanges de regards, Pierre Michon capte les chairs palpitantes, les tensions érotiques qui pulsent dans les corps et les têtes. De ces ivresses intenses, le Creusois fait fête, célébration primitive du désir dans un monde où les hommes « s’encombraient des mêmes vieux savoirs sur la greffe des rosiers, les usages de l’anguille et de l’écrevisse, savoirs qui leur servaient à quelque chose, et d’autres savoirs aussi qui n’étaient que semblance, qui avaient trait aux femmes et ne leur servaient à rien ».