Études, juin 2023, par Nicole Bary
Reinhard Kaiser-Mühlecker est un ovni dans le paysage littéraire autrichien – et allemand – contemporain qui laisse peu de place à la ruralité. Mais son roman, Lilas noir, suite et épilogue de Lilas rouge (Verdier, 2021), la saga des Goldberger, une famille de paysans de Haute-Autriche, n’a rien d’une idylle paysanne. Les activités criminelles de l’arrière-grand-père sous le Troisième Reich, bien que tues, accablent sa descendance, provoquant déchaînements de haine et ressentiments. Silence et non-dits sont un contrepoint à une violence des sentiments et des comportements que rien ne saurait apaiser. Ferdinand Goldberger, le protagoniste, agronome et fonctionnaire, est le fils du mouton noir de la tribu. Deux décennies auparavant, son père, Paul, hanté par les crimes familiaux, a fui la ferme paternelle, émigré en Bolivie où il est devenu prêtre et enseignant, avant d’être sauvagement assassiné. Après le suicide de la femme qu’il allait épouser, Ferdinand rompt les amarres et part sur les traces de son père. Un nouveau crime commis à la ferme le rappelle au pays. Seul héritier et désormais maître du domaine, il entreprend sa déconstruction, le dépouillant tour à tour de toutes ses parcelles. Taciturne, solitaire, il essaie de retrouver par une vie ascétique la pureté originelle de la famille avant la faute de l’ancêtre, un désir de rédemption qui ne lui sera pas accordé. Dans une écriture d’une grande force et admirablement servie par la traduction, Lilas rouge et Lilas noir sont les étapes successives d’un Crime et châtiment autrichien.