La Revue des deux mondes, juin 2023, par Céline Laurens
Un grand livre est-il résumable ? Non, bien sûr, mais tentons tout de même l’exercice avec Les Deux Beune. Un jeune instituteur nommé dans un bourg du Périgord surplombant la Grande Beune développe une passion pour une femme, la buraliste de Castelnau. De son désir pour elle il ne dit mot. Les saisons passent pleines de leurs couleurs, sous l’œil du renard empaillé qui surplombe le comptoir de l’hôtel où il loge.
L’intrigue est maigre, oui. Le livre grand. Grand car universel, à l’écart des modes, ressaisissant une lutte primitive et essentielle, pleine de ce qui lie les hommes au travers des siècles, des arts et des récits : la quête du sacré. Tout l’intérêt des Deux Beune est dans ce qui sourd. L’atmosphère est humide, pleine du mystère de la germination et ce n’est pas pour rien que l’ouvrage prend place au-dessus d’une des grottes de la région. Dans celle-ci, nulle Vénus préhistorique. C’est normal, la femme est sortie des profondeurs de la terre pour s’incarner, c’est Yvonne la lascive et impétueuse callipyge aux yeux bleus. Yvonne écartelée entre deux hommes, deux rapports au monde. Celui de son amant qui vit naturellement, assouvissant ses désirs et ses besoins immédiats, balayant le passé d’un revers de la main. Et le rapport au monde du protagoniste, l’instituteur qui magnifie et qui sacralise. Yvonne est Junon, elle est Hélène de Troie dont « nul repli n’est plus profond que le sien ». Car Yvonne est l’idée même du désir, sa glaise en modelage, encore et toujours. Les quatre rives des deux Beune qui coulent dans le livre symbolisent quatre lèvres. Les premières, les grandes, sont celles de l’Amour « global », métaphorique, celui de la femme, qui traverse les âges, et les engendre ; les deuxièmes, les petites, sont celles de l’amour particulier, celui du narrateur pour Yvonne l’Hottentote. Entrelacements des rives.
À l’esthétique pluvieuse et verte des campagnes, Pierre Michon superpose des scènes mythologiques sans que cela soit jamais artificiel. Ce qui est trop évident n’est pas désirable. L’imagination ici triomphe dans la soif renouvelée de ce qui ne se donne pas.