La Libre Belgique, 23 août 2023, par Guy Duplat

Antoine Wauters ressuscite le temps de l’enfance, avant les mots

Antoine Wauters, l’écrivain de Mahmoud  ou la montée des eaux, revient […], dans Le plus court chemin, sur son enfance passée dans le petit village de Fraiture, en Ardenne, où il a grandi au milieu des années 1980. Lui qui a beaucoup écrit sur l’enfance retourne à ses racines paysannes et aux débuts de son amour pour les mots.

En une suite de textes très courts (moins d’une page), il raconte ses souvenirs : sa famille, ses grands-parents Papou, Pépé, Mémé et Nénène, le dialecte inventé, l’école et sa redoutable maîtresse surnommée Cheval, les paysages infinis de la campagne wallonne, les jeux, la calme rumination des vaches, la lumière qui court sur le mur de l’église, le ruisseau aux libellules, la vallée de l’Amblève, ses oncles flamands – Oncle Priit et Tante Annaatje – venant leur rendre visite tandis qu’on entendait le tracteur de la ferme de Jacques.

L’enfance était un éternel présent. Celui d’avant les mots.

Après la chute du Mur

Antoine Wauters construit, par un puzzle poétique, un tableau de son passé, du nôtre aussi, car il ressemble à bien des souvenirs que nous conservons tous. Il décrit ce temps immobile, scandé par des petites découvertes, d’humbles plaisirs, des peurs refoulées, des routines sans cesse répétées.

Ce monde a basculé, note-t-il, à la chute du mur de Berlin en 1989. Depuis cette date, « le fait de posséder permet d’élever de nouveaux murs entre sa propriété et celle du voisin. Le fait qu’il n’y ait plus aucune honte à gagner et dépenser beaucoup, de s’isoler en première classe, de se garer sur le trottoir des “pauvres”, et de rouler plus vite que les autres, dans des bolides. »

Il termine ce superbe livre en indiquant que « l’écriture vient toujours après. Après la fracture, après la faille. Quand vient le manque ».

Hacher les chairs

Sartre avait écrit Les Mots pour revenir sur son enfance et son aspiration à l’écriture. Antoine Wauters se pose la question : « Qu’est-ce qui explique que j’ai toujours eu besoin d’une distance entre les autres et moi ? Et cette nécessité de descendre toujours plus bas, jusqu’à me perdre dans les mots, ça veut dire quoi ? » Comme pour l’écrivaine Joan Didion, l’écriture est pour lui « le plus court chemin » pour découvrir qui on est.

Tout le livre alterne des réflexions sur l’ambiguïté des mots avec la douce nostalgie du passé ressuscité, née du rappel de l’odeur des fraises, de la vue des silos de foin, bref, du monde de l’enfance et des campagnes. « Ce qui a tué mon enfance (les mots) m’a également sauvé la vie », écrit-il encore.

Enfant, à l’école, il comprend qu’avoir les mots, c’est « les avoir plantés dans le ventre et les sentir hacher les chairs ». Mais en même temps, et c’est là tout le paradoxe douloureux de l’écriture, « sans le pouvoir de la parole, vivre est une abstraction ».