24 heures, 26 août 2023, par Boris Senff
Menasse sur l’Union européenne
L’Europe politique est dans le collimateur de Robert Menasse depuis son roman La Capitale (2019), où il s’intéressait notamment à l’industrie du cochon avec un grotesque délectable. En fin connaisseur des rouages bureaucratiques bruxellois, l’Autrichien récidive avec L’Élargissement, joli pavé qui pousse encore un peu plus loin sa virtuosité romanesque au service d’une réflexion politique et historique, pointant désormais la volonté d’adhésion de l’Albanie et, accessoirement, le populisme du gouvernement polonais. Cet acharnement à vouloir aborder ces questions par la fiction peut interroger, tant il est étranger aux pratiques contemporaines, notamment françaises – Michel Houellebecq ne fait que les effleurer en sociologue entiché de la déchéance des individus. La démarche se révèle pourtant pertinente, puisqu’elle explore une dimension qui concerne près de 750 millions d’Européens trop souvent mal informés mais prompts à critiquer leurs institutions politiques supranationales – y compris les Suisses qui se bercent de l’illusion d’une fallacieuse autonomie !
Ni européiste ni eurosceptique (quoique ?), mais jouant d’un penchant critique exacerbé et des potentialités hétérogènes de la fiction, Robert Menasse alterne comique et tragique, satire et réflexion, dans une fresque où les personnages sont hauts fonctionnaires, policiers, communicants, journalistes, mais sont toujours incarnés et étoffés, plus complexes que leur fonction officielle.
L’Élargissement se distingue aussi par son intrigue, très habilement troussée autour du vol, dans un musée autrichien, du casque de Skanderbeg, héros national albanais remontant au quinzième siècle, objet de toutes sortes de convoitises. L’occasion, pour l’Autrichien, d’inventer des rebondissements et des quiproquos hilarants où les mafias et les machineries politiciennes ont évidemment leur part. On songe parfois à un Dürrenmatt qui aurait développé une veine scénaristique trépidante et on rêverait d’ailleurs qu’un cinéaste s’empare de ce volumineux récit pour en extraire un film à la Sorrentino. Quant à l’Albanie, le pays candidat depuis 2014 attend toujours une réponse.