Études, septembre 2023, par Sylvie Koller
Seul Européen de l’Ouest en Moldavie, un jeune homme enseigne le français à l’université de Kichinev (Chisinau), au début de la perestroïka. Rien ne l’a préparé au dépaysement qu’il affronte en tenant son journal, seul espace libre de surveillance. Cette forme intime de l’écriture accompagne le dévoilement progressif de la réalité soviétique. S’interdisant d’abord tout jugement hâtif, le novice est de plus en plus sensible au dénuement matériel, à la brutalité de la vie quotidienne, aux tracas bureaucratiques. Attentif au sort difficile de ses étudiants, il s’efforce de gagner leur confiance, puis élargit le cercle de ses connaissances à des artistes et des écrivains. Grâce à ces amitiés et aux femmes dont il s’éprend, il prend conscience des ravages du totalitarisme sur les consciences et les relations personnelles. Il accède aussi au destin de cette « république sœur » étouffée dans sa langue, pillée, saccagée. Ne pas réduire autrui à son malheur, reconnaître son hospitalité, partager la célébration de la vie, telle est l’issue qu’il trouve à tâtons. Quand un système forcené fait de l’homme une abstraction, la vérité de chaque être, son silence aussi, est gage de liberté. Un puissant effet d’après-coup traverse la fin du journal. Marc Crépon comprend que la dureté de la vie s’est imposée à la philosophie, l’ouvrant à de nouvelles exigences. Nous sommes alors à la charnière de deux temporalités incertaines : l’affaiblissement de l’empire militaro-industriel et colonialiste, et son retour toujours possible. D’où l’épilogue désolé de l’été 2022, quand la menace se rapproche de la Moldavie.