Le Temps, 2 septembre 2023, par Isabelle Rüf
Antoine Wauters se met au diapason de l’enfance
Dans un livre intime et dépouillé, l’auteur de Mahmoud ou la montée des eaux fait signe à celui qu’il a été et éclaire ce que l’écriture signifie pour lui.
Pour Antoine Wauters, « le plus court chemin » vers lui-même passe par le pays wallon où il a grandi. Après les dystopies de ses premiers livres, marqués par la guerre, la catastrophe, les abus de toutes sortes – Pense aux pierres sous tes pas (Verdier, 2018) – après l’élan poétique de Mahmoud ou la montée des eaux, en 2021, et les récits « de résistance et d’espoir » du Musée des contradictions (Éditions du Sous-Sol, 2022, Prix Goncourt de la nouvelle, réédité en « Folio »), Le plus court chemin marque un temps d’arrêt. C’est un livre intime, une remontée à la source : « Ne pas arrêter de faire signe à celui que j’ai été, tenter de le revoir et de revoir mon frère, tout cela porte un nom : écrire. »
Antoine Wauters a grandi dans un petit village des Ardennes, un monde de vaches, de machines agricoles. Ce sont les années 1980, les noms, les marques en témoignent, mais le monde est figé dans un temps étale, « aux désirs enfouis », imprégné de religiosité bucolique, un monde de grottes et de plaisirs modestes. « La vie comme une haie d’aubépines. L’écriture comme une toile d’araignée. L’absolue nostalgie. »
Peurs et phobies
« Sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus ? », demande Saint-John Perse. Cette même question, Antoine Wauters la pose à bas bruit, comme murmurant à lui-même. Dans ce monde de taiseux, où l’on pourrait marquer d’une croix les jours où le pépé a parlé, « poursuit-on par nos propres silences des silences entamés plus tôt ? » L’enfant asthmatique peuple ce mutisme d’histoires qu’il raconte à sa poupée Mary – dotée d’un pénis –, rêves d’Amériques, tornades, vitesse. Depuis le socle solide de la cellule familiale – parents, fratrie, grands-parents, oncles flamands –, le garçon peut s’envoler ou se perdre dans les jeux et ce « sprint heureux » qui est la vie même.
En dépit des peurs et des phobies qui le hantent aussi, il vit « un éternel présent ». Mais il y aura une rupture dans cet univers clos, dans les années 1990, avec la chute du Mur, la guerre du Golfe, l’accélération, l’argent. « L’écriture vient toujours après. Après la fracture. Après la faille. Quand vient le manque. »
L’écriture est un pays
Le plus court chemin est aussi celui de l’écriture. C’est elle, dans son dépouillement, qui transfigure l’enfance. « J’aspire au moins, au peu. Le chemin de la fiction ne m’attire plus comme avant ; c’est mon environnement direct qui m’appelle. Documenter les choses avant qu’elles ne s’effacent. » Apprendre à se taire. Écouter. Marcher. L’enfant déjà ne reconnaissait pas celui qui le regardait depuis le miroir. « Qu’est-ce qui fait que je tiens à moi ? » Depuis ses huit ans, la question l’obsède. Aujourd’hui, à la quarantaine et après de beaux succès de librairie, c’est toujours dans les mots que niche la réponse : l’écriture est un pays, « le seul endroit où je peux me trouver et le seul où je me trouve. Partout ailleurs, je n’y suis pas. Je n’ai lieu que là. »