Elle, 4 septembre 2023, entretien réalisé par Clémentine Goldszal

Antoine Wauters : « La langue réinvente notre rapport au monde »

Dans Le Plus Court Chemin, le poète et écrivain belge revient sur son enfance. Beau et prenant.

Quel lecteur étiez-vous, enfant ?

Mes lectures se sont longtemps limitées à des BD, Tintin, Lucky Luke… Puis j’ai découvert la comtesse de Ségur. Sa langue m’apparaissait intrigante, différente de celle des livres que je lisais alors.

Quel auteur vous a fait sentir légitime pour écrire ?

Marguerite Duras. À dix-huit ans, quand je l’ai découverte : son utilisation de la ponctuation, la possibilité de reprendre des mots et ce quelque chose de poétique que je ne comprendrai que plus tard m’ont fait réaliser que l’on pouvait être libre par rapport au langage, et même jouer avec. Son style dépoussiérait l’écriture en y apportant une incroyable vitalité.

Vous avez étudié la philosophie. Qu’apporte-t-elle, selon vous, à votre travail littéraire ?

J’ai longtemps opposé les deux. J’avais l’impression que ce que la philosophie me donnait sur le plan de la pensée, elle me le reprenait sur le plan de la créativité. Mais je me suis finalement rendu compte que la philosophie s’est glissée dans la plupart de mes livres, où j’essaie d’épingler la réalité d’une époque en la connectant à mon ressenti.

Quel est votre ouvrage de philosophie préféré ?

Nietzsche est mon compagnon de route de toujours. J’aime ses lettres, les dernières, écrites après l’effondrement. Il est alité chez sa mère qui s’occupe de lui, ses livres commencent à être lus, et il se dit pourtant qu’il est peut-être passé à côté de l’essentiel.

Comment la poésie est-elle entrée dans votre vie ?

Par Jacques Izoard, un poète belge découvert à la fin de l’adolescence. J’étais blessé, je ne pouvais plus me consacrer à l’athlétisme, qui était ma passion, et ma maman m’a emmené dans une bibliothèque. Tout me rebutait, mais j’ai ouvert un de ses recueils par hasard et immédiatement vu et posé sur la page quelques mots, comme des formules magiques. C’était de la prestidigitation, au sens de ce que la langue peut faire en nous : réinventer notre rapport au monde, notre regard, notre sensibilité… J’ai terminé le texte sans rien comprendre, mais ça m’a parlé en profondeur. Puis quand j’ai commencé à écrire de la poésie, c’est cet auteur, qui vivait à Liège, qui m’a encouragé à publier.

Quel livre n’avez-vous jamais réussi à finir ?

Ulysse, de James Joyce, et L’Homme sans qualités, de Robert Musil. En réalité, j’abandonne souvent les livres en chemin. Pendant dix ans, je n’en ai fini que quatre ou cinq. Et puis, l’été dernier, je me suis coupé d’Internet, et j’en ai lu soixante. Je me suis dit que c’était quand même bien de terminer.

Quel livre relisez-vous ?

Une fois par an, je relis Le Meunier hurlant, d’Arto Paasilinna. Ce roman me fait beaucoup de bien.

Quel livre mériterait, selon vous, d’être plus connu ?

Mouron des champs, de Marie-Hélène Voyer, une autrice québécoise géniale. C’est un texte de poésie facile d’accès où elle raconte comment sa maman, qui était fermière, ne lui a jamais pardonné d’être attirée par la littérature. Ce sont deux visions du monde qui s’affrontent, mais qui s’aiment, un dialogue impossible avec la personne qui nous a mis au monde et qui, pourtant, peut passer à côté de qui on est.