L’Humanité, 12 octobre 2023, par Alain Nicolas

Antoine Wauters, les mots de l’origine

L’écrivain, Prix Wepler, Prix du Livre Inter pour Mahmoud ou la montée des eaux, revisite une enfance ardennaise qu’il a vécue en l’écrivant.

« Tout ce que j’écris vient de là. » D’emblée, Antoine Wauters nous l’annonce, il sera question d’origine, de lieu. « Que je le veuille ou non », précise-t-il. Ce n’est pas un choix, mais une reconnaissance. On vient toujours de quelque part, mais, chez lui, ce petit village ardennais est le lieu d’origine de son écriture.

« J’ai écrit mon enfance à mesure que je la vivais, et je l’ai vécue en l’écrivant. » Comment mieux dire que les mots et Antoine Wauters ont poussé ensemble dans ces quelques mètres carrés, qu’ils sont « jumeaux » ? « Faire signe à celui que j’ai été […] porte un nom : écrire. » Antoine Wauters nous invite à explorer, avec lui, ce « monde presque disparu », celui de son enfance. Un monde où « objectivement il ne se passait rien », un monde où il aurait « tout aussi bien pu ne pas être ». Voyage dans le silence et l’immobilité, Le Plus Court Chemin revient sur les pas d’une vie où joie et peine sont les deux faces de l’immensité de ce mouchoir de poche où sa vie a tenu pendant des années.

Un village des Ardennes sur le bord de l’Ourthe, un affluent de la Meuse ignoré des Français. Liège trois fois par an, et Bruxelles pas avant sa dixième année, les villes flamandes exceptionnellement. Cet isolement déjà presque anachronique dans les années 1980 est à mettre en rapport avec l’austérité du christianisme « néo-charismatique » des parents, qui ont voulu « une vie d’effacement ».

Un choix qui n’allait pas de soi chez cette enseignante et ce cadre de banque. Antoine Wauters en décline les conséquences, les habits qu’on achète trop grands, les vacances sur place, qui n’empêchaient pas de penser à ces années comme une « période bénie », semblable peut-être à celle qu’ont vécue tous les enfants.

Antoine Wauters les parcourt en une série de textes brefs, instantanés de mémoire où passent les jeux, les lieux, les animaux, les classes, les livres. La tristesse heureuse de la nostalgie éclaire les pièces de ce puzzle dont le livre est une tentative de reconstitution. Tentative « après la fracture. Après la faille. Quand vient le manque ». Le plus court chemin, c’est celui qui a été pris dès l’enfance, dès le moment où l’on raconte des histoires à une poupée, est toujours en question. Antoine Wauters aurait-il pu ne pas se retrouver trente ans plus tard en train d’écrire sur l’origine de sa pulsion d’écrire ? Est-il prédestiné à écrire ? Pour le savoir, il lui faut écrire, « parcourir ce fil posé sur l’oubli ».