Le Monde des livres, 19 octobre 2023, par Christine Lecerf

Désillusions croissantes

Branle-bas de combat à Bruxelles, Varsovie, Tirana. La conférence de Poznań (décembre 2008) approche. Hauts fonctionnaires européens, juristes, journalistes s’agitent à la perspective de ce énième sommet censé accompagner le processus d’élargissement de l’Union européenne (UE) aux Balkans occidentaux. La fébrilité est grande en Albanie, qui attend depuis près de vingt ans son entrée dans l’UE. L’atmosphère est radicalement différente en Pologne, qui n’hésite plus à se poser la question : « Élargir, approfondir ou démanteler ? » En proie à une « absence d’illusions croissante », Bruxelles tente tout simplement de « garder le cap ». Plus l’heure tourne, et plus la perspective d’une intégration politique de l’Albanie s’éloigne.

L’élargissement n’échoue pas pour autant. Il fait son chemin dans le roman, pénètre le quotidien des personnages, transforme leurs mentalités. Des préjugés s’effondrent, des histoires d’amour se nouent, des vies bifurquent.

Après La Capitale (Verdier, 2019), Robert Menasse poursuit son époustouflante saga européenne. Avec la précision redoutable d’un entomologiste, l’ironie mordante d’un caricaturiste et l’irrépressible empathie d’un Européen convaincu, il hisse le destin de l’UE à la hauteur d’un enjeu romanesque majeur. Dès lors, l’Europe ne se construit plus seulement dans les bureaux présidentiels ou les cabinets d’experts. Elle se fait aussi aux terrasses des cafés et dans les chambres d’hôtel, sous la plume de l’écrivain qui imagine son avenir.