La Revue des deux mondes, novembre 2023, par Michael Benhamou
Comment le Covid nous a-t-il rendus suspects les uns aux autres en faisant de nos haleines un potentiel danger public ? Pourquoi la défiguration de la nature engendre-t-elle un environnement toujours plus suffocant ? Jusqu’où les guerres modernes (après les armes chimiques et les chambres à gaz) prendront-elles les poumons pour champ de bataille ? Dans Respire, la théoricienne des lettres Marielle Macé soulève ces questions avec sa grâce bien particulière : un art d’observer le monde comme elle analyserait un texte, attentive aux échos implicites, aux solidarités souterraines, aux espérances cachées. Un sens profond de l’observation où, comme en littérature, on sent bien que l’intime et le collectif ne vont pas l’un sans l’autre. En témoigne par exemple cette belle définition des gens allergiques : « ceux qui respirent mal peuvent faire confiance à leur pauvre souffle, leur souffle bruyant incapable de cacher que rien ne va ». Ou bien ses souvenirs d’enfant asthmatique, et l’image de son père, boulanger, qui avait des quintes de toux chaque matin à cause des résidus de pesticides contenus dans les farines. Qu’on veuille ou non s’intéresser à la politique, au social ou à l’écologie, lorsque ces réalités dysfonctionnent, on en subit tous les conséquences de façon aiguë et viscérale. Dans ses livres d’intervention, Marielle Macé s’entoure des auteurs qu’elle aime, poètes aussi bien que sociologues, pour nous rappeler à cet ordre implacable. Peu à peu, en lisant son dernier opus, on prend conscience du fait que respirer est une forme de résistance – citant Frantz Fanon, elle parle notamment de « respiration de combat ». S’impose alors l’idée que cette chose a priori individuelle qu’on fait sans y penser gagnerait à devenir une cause collective. Encouragée par l’étymologie, cette idée déployée tout au long de son essai, sonne d’ailleurs comme un beau cri de ralliement : donnons à nos respirations le souffle d’une conspiration !