La Croix, 16 novembre 2023, par Fabienne Lemahieu
De l’air
Un texte profond et très personnel tisse une littérature autour de la respiration. On en sort grandit et apaisé.
Voici, autour de la respiration, un texte formidable d’intelligence et d’érudition. L’élan de Marielle Macé, écrivaine et chercheuse au CNRS, est à trouver du côté de son enfance passée à Paimbœuf, « petite ville ouvrière aux venelles étroites, en bout de Loire qui sentait fort le soufre, en face des énormes raffineries pétrolières de Donges », auprès d’un père boulanger sujet à des quintes de toux dues aux intrants toxiques des farines qu’il respirait… Il fut réanimé « dans la réclusion et les colères du confinement », sublimé enfin par une année passée au grand air d’un jardin partagé.
Se réclamant des auteurs qui la nourrissent, dans une langue souple qui met en jeu l’âme et le corps, au plus près des éléments, Marielle Macé aborde nos étouffements contemporains, au sens propre comme au figuré: les pollutions atmosphériques remontant à la révolution industrielle, qui asphyxient les plus précaires ; la « dimension politico-raciale de l’air» qui s’exprime dans le cri d’un George Floyd assassiné, « I can’t breathe » ; notre sentiment d’un « temps irrespirable » lié à aux surmenages de salariés « à bout de souffle »…
Marielle Macé fait ainsi de la respiration un geste politique, un « droit à une vie respirable, c’est-à-dire désirable, une vie qui en vaut la peine, une vie à laquelle tenir ». Parce qu’enfin, il y a dans ce souffle quelque chose à chercher de l’ordre du vivre ensemble – « Nous respirons le dehors et le dehors respire, nous respire et se respire en nous. » Et l’autrice de faire l’éloge de la parole, celui de la douceur. « Voilà, c’est ça : ce qui respire au fond de la parole c’est la fraternité. C’est elle qui nous réclame à grands coups d’air et de dé-solitude. »