La Dépêche du Midi, 5 janvier 2024, entretien réalisé par Véronique Durand

Deux écrivains audois à la rencontre de l’archéologue Jean Guilaine

L’historienne Laurence Turetti et le journaliste Georges Chaluleau publient L’Aube des moissonneurs, un livre entretien avec Jean Guilaine. L’opportunité de se rapprocher de cet immense archéologue trop méconnu en sa patrie, tout en se familiarisant avec le néolithique et les premières sociétés paysannes entre 5800 et 2500 avant notre ère. Didactique et brillant.

Entretien

Comment est venue l’idée de ce livre ?

L’archéologie est souvent une science de spécialiste et de l’entre-soi. L’idée initiale est de faire une lecture qui puisse toucher le grand public. Jean Guilaine avait préfacé notre livre sur la blanquette et, d’une certaine manière, c’est une façon de lui rendre hommage. On voulait faire une synthèse de l’homme, de l’œuvre et le situer dans sa vie, donner un aperçu intéressant et plus facile d’accès.

Pourquoi l’écrire à quatre mains ?

C’est avant tout une histoire d’amitié. Nous avions déjà écrit un livre sur le musée du piano et sur la blanquette. Et puis allier une historienne aguerrie sur la recherche en archives et un journaliste sur les techniques d’interviews et de retranscription, c’est bien. Du coup c’est fluide car on est complémentaires. Écrire à deux génère des discussions : on débat, on a des phases d’écriture distinctes, c’est enrichissant.

Comment avez-vous procédé ?

On s’est rencontrés plusieurs fois pour une série d’entretiens enregistrés, puis retranscrits. Puis on a déterminé des axes.

Lesquels ?

On avait envie de parler de sa carrière, de son parcours, de sa jeunesse. Il était important qu’il nous donne les grandes lignes du néolithique, qu’il fasse le point sur les connaissances actuelles : que sait-on des premiers paysans? Ensuite, la partie centrale est consacrée à l’Aude et il nous résume ses premiers chantiers. L’Aude a été son premier laboratoire, lien entre sa vie personnelle et sa vie scientifique.

Qu’apporte votre regard ?

Le regard qui nous paraissait intéressant, c’est notre spécialité, chacun, pour comprendre et décrire la place de l’archéologie dans la société et faire un lien avec la place de l’histoire. Et en même temps, notre regard innocent fait le lien avec le grand public.

Qu’est-ce qui vous a marqués ?

C’est ce regard scientifique, équilibré que pose Jean Guilaine. Une période, une population n’est pas plus importante qu’une autre. L’histoire est une sélection. Chaque période a ses propres apports et alimente la génération suivante. L’archéologue permet d’aller aux sources mêmes de la vérité. Et Jean Guilaine parle de science citoyenne quand on parle de la place de l’archéologie dans la société actuelle. Son approche est très intéressante : elle remet une pensée claire et posée dans la société actuelle troublée par trop de méconnaissances, de fausses représentations. ça fait du bien de repartir sur des données rigoureuses, lorsqu’on se base sur des éléments trouvés dans le sol. La prudence est extrême, il n’a pas de surinterprétation. C’est une science de terrain, on ne peut faire de l’archéologie que si on est sur le chantier de fouilles.

Pourquoi connaissons-nous si peu de choses sur le néolithique ?

Le néolithique n’a pas de reconnaissance institutionnelle, pas de musée consacré à cette période, seule une petite section dans le musée archéologique de Narbonne, alors que la masse de documents le mérite. Au niveau national, c’est la même chose et dans le sud de la France, il y a douze musées consacrés à l’Antiquité romaine mais aucun sur le néolithique. Jean Guilaine n’est pas prophète en son pays. C’est un paradoxe : il est une sommité internationale du néolithique dans le monde scientifique, mais il est peu connu dans son pays.

Pourquoi est-ce important de connaître les travaux de Jean Guilaine dans la période actuelle ?

Il évoque sa vocation : ce rapport à la terre et à la paysannerie qu’il observait dans son village natal. Il est le dernier témoin d’une société paysanne qui, dans les années cinquante avait peu bougé. Aujourd’hui, les changements climatiques, économiques, structurels de l’agriculture engendrent un bouleversement majeur. C’est capital d’avoir cette réflexion maintenant.