Télérama, 15 février 2024, par Stéphane Ehles

Emmanuel Venet, facétieux pyromane des vicissitudes d’une ville provinciale

Une petite ville de province fictive. Et c’est toute la condition humaine que sonde l’auteur, psychiatre averti doublé d’un facétieux écrivain.

Ce 15 avril 2010, un incendie ravage la cathédrale Saint-Fruscain de Pontorgueil. Un cataclysme pour cette petite ville (imaginaire) du centre de la France que le dernier roman d’Emmanuel Venet se propose de disséquer. Qui a bien pu allumer le feu ? L’évêque du lieu est hors de cause, occupé à ce moment-là dans une ville voisine à attiser la flamme du désir avec une voluptueuse paroissienne. Un des fils de ladite paroissienne, suivi par un neuropédiatre inepte ? L’agent de sécurité intérimaire, pas très futé et passablement toxicomane ? Le sacristain africain sans papiers devenu vindicatif ?

Le roman n’est ni un polar, ni une pochade bravache. Plutôt une exploration acérée d’une petite société provinciale. On retrouve avec bonheur le style d’Emmanuel Venet, écrivain singulier, au goût pour l’érudition gratuite (dans ses descriptions historiques, architecturales ou médicales hyper détaillées) et à l’écriture tout à la fois précise et facétieuse. L’auteur, par ailleurs psychiatre, croque les travers de la bourgeoisie locale, des édiles et notables affairés ou affairistes. Il se fait aussi fin observateur des métamorphoses de la petite cité (du centre-ville au quartier chaud), de la novlangue des élus (quant à l’avenir du site de la cathédrale), des tics des médias, des mœurs du monde judiciaire et des petites et grandes petitesses de tout un chacun.

Près d’un siècle plus tard, c’est presque une version 2.0 de Chaminadour, la chronique sans fard de Guéret par Marcel Jouhandeau. Même si, de feu en contrefeu, ces honorables Pontorgueillais ressemblent aussi aux personnages masqués un brin terrifiants du tableau de James Ensor qui figure sur le bandeau du livre.